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démissions collectives et par la tumultueuse suspension du cours de la justice civile et criminelle, machine de guerre dont le parlement avait souvent éprouvé l’effet. C’était le point où l’attendait Maupeou, le piège qu’il avait préparé à ses ennemis afin qu’ils vinssent s’y engager eux-mêmes. Son désir le plus vif était que les magistrats persistassent dans leurs résolutions, et qu’ils parussent descendre volontairement des sièges sur lesquels il était fort décidé à ne plus les laisser remonter.

L’aveuglement de ses adversaires dépassa ses prévisions. Malgré les sommations réitérées qui leur furent adressées au nom du roi, afin qu’ils retirassent des démissions dont le caractère collectif était une menace et presque un péril pour l’ordre public, les magistrats les maintinrent avec obstination, persuadés que l’urgence de rétablir le cours de la justice conduirait une fois de plus le gouvernement à une transaction dont ils recueilleraient tout le profit. Ils avaient compté sans le chancelier, si loin de s’alarmer d’une crise dont il entendait bien faire la dernière. Dans la nuit du 20 janvier 1771, tous les membres du parlement virent à la même heure apparaître au chevet de leur lit des mousquetaires chargés, s’ils persistaient dans leur refus de reprendre leurs fonctions, de les conduire immédiatement aux divers lieux d’exil ou de détention préparés d’avance pour chacun d’eux par la sollicitude d’un ancien collègue, qui à un triomphe politique avait ajouté la saveur d’une vengeance personnelle.

Si une pareille exécution nocturne était grave, elle ne sortait pas néanmoins de ce qu’on pouvait appeler le programme consacré pour toutes les luttes de la royauté avec la magistrature. Ce n’était là pourtant que le premier pas du chancelier dans sa vaste carrière d’innovations et de réformes. Les magistrats n’étaient pas encore arrivés aux lieux de leurs destinations lointaines que leurs charges étaient déjà déclarées vacantes, et qu’il était pourvu d’autorité royale à leur remplacement. Un certain nombre de membres du grand conseil, rival haineux du parlement, beaucoup d’hommes d’affaires mieux pourvus d’ambition que de clientèle, acceptèrent ces épaves inattendues que leur jetaient la tempête et la fortune. Le parlement Maupeou fut donc constitué, et si la considération publique manqua à ses créatures, le chancelier, le front haut et la main ferme, promit d’y suppléer par la force. Jamais parole ne fut mieux tenue : quelques jours plus tard, cette nouvelle compagnie assistait elle-même à sa propre déchéance, car elle dut enregistrer un édit qui divisait fort utilement l’immense ressort du parlement de Paris entre six nouvelles cours, établies à Blois, Arras, Châlons-sur-Marne, Clermont, Lyon et Poitiers. S’appuyant, en matière d’administration