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des droits nettement définis, consignés dans un traité à date certaine ; elle rappelait que ces droits politiques, dont l’application avait toujours été restreinte plutôt qu’étendue par les états de Bretagne, étaient inscrits dans l’acte d’union de 1532, et qu’ils étaient le prix dont François Ier avait dû payer une renonciation toute volontaire à l’indépendance de la province, formellement maintenue par le contrat de mariage de sa souveraine avec le roi Louis XII. Tandis que les autres cours de justice, pour conquérir des attributions en plein désaccord avec le but primitif de leur institution, invoquaient des théories politiques et les droits naturels de la nation, le parlement de Bretagne, gardien né d’un contrat bilatéral, se prévalait avec une fermeté respectueuse d’un traité passé entre le roi de France et les états de Vannes, et renvoyait aux représentans de l’autorité royale dans la province tous les reproches d’usurpation dont ceux-ci se montraient si prodigues. Le duc d’Aiguillon ne comprit guère mieux cette position délicate que ne l’avait fait avant lui le maréchal de Montesquiou ; il eut, comme ce dernier, le tort plus grave de traiter avec hauteur une noblesse dont le blason était plus vieux que le sien, et dont le dévouement avait reçu des récompenses moins éclatantes. Homme de courage dans la guerre, quoi qu’en aient pu dire ses ennemis, le duc d’Aiguillon était en administration un esprit plein d’initiative ; mais il ne soupçonna point que les peuples demeurés honnêtes font passer leurs droits avant leurs intérêts. Il compromit d’ailleurs le succès de ses mesures les plus utiles par l’arbitraire affecté avec lequel il en poursuivit l’exécution. Accusé au parlement de Rennes de violences personnelles, de séquestrations odieuses et de concussions considérables, le commandant de la Bretagne était devenu, par la prérogative de son duché-pairie, justiciable du parlement de Paris. Ce fut avec des transports de joie que cette compagnie si agitée saisit la double occasion de juger un pair du royaume et de se lier plus étroitement encore avec ces parlemens provinciaux, transformés en classes d’un prétendu parlement général de la monarchie. Le débordement des passions et l’enivrement des espérances exerçaient alors une fascination tellement irrésistible, que le duc, même innocent, aurait été probablement condamné. Avec la conscience secrète de ses torts et l’assistance que lui prêtait un grand parti dirigé par la favorite, il était donc fort naturel qu’il tentât les derniers efforts pour échapper à des juges auxquels leur arrêt semblait dicté d’avance par leur haine comme par la colère publique.

Malgré la résolution, probablement déjà concertée, d’en prévenir le résultat définitif, ce grand procès suivait son cours au milieu d’une émotion dont la génération actuelle parviendrait difficilement