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le goût de la retraite au sein des grandeurs et l’entière possession de soi-même au centre de toutes les séductions. Né avec la passion des armes, ses goûts furent contrariés par les suspicions constantes de son père, sans que ni les supplications ni les larmes du jeune prince parvinssent à le fléchir, même au temps des désastres de nos armées. Lorsque, après le malheur de Crefeld et le retour du comte de Clermont, le dauphin osa invoquer le nom de Fontenoy, souvenir radieux de sa jeunesse, Louis XV écarta sa demande par un refus glacial. Aussi violemment refoulé sur lui-même que l’avait été le duc d’Orléans par Louis XIV, ce prince trouva dans l’étude et dans la pratique des plus douces vertus des joies dont la sérénité illuminait son front et sa vie. Plein de modération et de rectitude d’esprit malgré l’ardeur de ses croyances, il se concilia pour quelques jours l’approbation générale, lorsqu’en 1757, après l’attentat de Damiens, il reçut une délégation temporaire de l’autorité royale. Autant qu’on en peut juger par les fragmens assez nombreux de ses écrits parvenus jusqu’à nous, cet énergique et modeste chrétien, tout plein de l’amour du peuple et de la terreur de ses grands devoirs, n’avait pas plus les illusions que les ardeurs de l’homme de parti; mais l’esprit d’opposition, qui avait eu ses motifs pour faire du père de Louis XV un Germanicus, croyait avoir des raisons pour transformer son fils en capucin. Aussi l’histoire n’a-t-elle pas même gardé un souvenir de cette dauphine de Saxe si admirable de tendresse et de noble simplicité, et dont le mérite sérieux n’aurait point pâli à coup sûr devant les grâces coquettes de la dauphine de Savoie.

Quoi qu’il en soit, l’éloignement des affaires dans lequel le roi tenait son fils, après avoir longtemps servi les desseins politiques de Mme de Pompadour, ne fut pas exploité avec un moindre profit par le duc de Choiseul, qui voulait se préparer après la mort de la marquise la position de ministre dirigeant. Tout appel à ce sentiment-là rencontrait de l’écho; en l’exploitant avec bonheur, ce ministre put imprimer aux débuts de son administration, malgré les répugnances personnelles de Louis XV, cette couleur philosophique qui en prépara la popularité. Sacrifiant résolument au besoin de fortifier son pouvoir un avenir dont la bonne santé du monarque semblait reculer indéfiniment la perspective, M. de Choiseul affecta vis-à-vis du dauphin un dédain calculé dont l’effet secret était sûr auprès du maître, et l’effet patent merveilleux sur l’opinion, généralement hostile à ce prince. Lorsque, dans le débat fameux provoqué par un mémoire du dauphin sur les jésuites, le duc dit à l’héritier du trône que s’il était un jour condamné au malheur d’être son sujet, il n’aurait jamais du moins celui de devenir son serviteur, ces paroles mes-