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Louis XIV vieilli et malheureux, cette haine, triste fruit de longues souffrances, avait été tempérée par le respect jusque dans ses plus violentes manifestations, car c’était en demeurant idolâtre de la monarchie qu’on jetait furtivement quelques pierres au cercueil du monarque qui l’avait faite et la laissait encore si grande. Le roi de cinq ans qui succédait à ce prince était entouré d’un prestige qu’aucun roi de sa race n’avait certainement possédé dans la plénitude de sa virilité. De là ces trésors de confiance et de dévouement que Louis XV avait mis quarante ans à épuiser. Au temps où par malheur nous sommes parvenus, nous rencontrons, avec des colères moins vives, des espérances moins ardentes. Rien ne survit dans la nation des croyances et des tendresses dont les scènes de Metz avaient été la dernière manifestation. Une irréparable rupture s’opère tout à coup avec ce long passé dont la royauté est demeurée la seule expression en attendant qu’elle en devienne la lamentable victime. En présence d’un avenir chargé d’incertitudes et d’orages, on ne demande plus rien à la couronne, de laquelle on avait contracté l’habitude de tout attendre : ce qu’elle concède n’inspire aucune reconnaissance; la confiance publique a passé du pouvoir régulier aux écrivains, et sous mille influences contraires l’opinion se rue du scepticisme dans l’injustice au point de ne pas s’arrêter devant les plus pures vertus qui aient honoré la nature humaine. En 1715, un enfant chétif occupait un trône au pied duquel se prosternait un peuple entier dans une attitude plus voisine de l’adoration que du respect; en 1774, la Providence y fit monter dans la plénitude de sa force le meilleur des hommes et le mieux intentionné des rois, et Louis XVI pourtant ne rencontra qu’objections, froideur et dédaigneuse indifférence. La nation qui avait passé tant de choses à l’aïeul ne passa rien au petit-fils ni à la gracieuse compagne appelée à partager son trône, tant le règne de Louis XV avait tari dans ses sources cette foi monarchique, la seule par laquelle vécût alors la France !

Ce que nous avons dit, ce qu’il nous reste à dire encore, fera comprendre cette transformation, l’une des plus radicales assurément qui se soient produites dans les sentimens d’un grand peuple. En France, les mauvais rois sont moins exposés que les rois fainéans, et lorsque l’indolence personnelle du prince est rendue plus sensible par la dévorante activité du temps, des perturbations prochaines sont la conséquence presque fatale d’un tel contraste. Annulé durant vingt ans par le cardinal de Fleury, Louis XV avait volontairement abdiqué aux mains de Mme de Pompadour : abdication d’autant plus éclatante qu’elle provenait moins de l’intelligence que de la volonté. En renonçant à gouverner par indifférence et