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tion difficile à résoudre. Il reste certain que les Péruviens ont eu un commencement de civilisation. D’Orbigny croit même que cette civilisation a été beaucoup plus avancée qu’on ne l’a généralement pensé en Europe. Les Péruviens, comme les anciens Égyptiens, ont construit d’immenses monumens ; ils y ont employé des pierres si volumineuses, que pour en mouvoir de pareilles nous serions aujourd’hui même obligés de mettre en jeu toutes les ressources de nos arts mécaniques.

Si l’Europe est le pays du monde où la terre est le plus découpée, l’Amérique du Sud est peut-être celui dont la configuration est la plus simple. Quel que soit le point où l’on traverse cette vaste contrée de l’ouest à l’est, on s’élève d’abord sur la Cordillère, puis on descend vers d’immenses plaines. Notre compatriote entreprit de pénétrer dans celles de ces plaines qui forment la partie orientale de la Bolivie. Au milieu de ces déserts, inondés par le réseau des affluens de l’Amazone et du Parana, ou couverts de forêts vierges, vivent des Indiens presque ignorés du monde. La plupart ont été civilisés par les jésuites ; ils forment des sociétés désignées sous le nom de missions. D’Orbigny part : le voilà aux prises avec la nature. Que de luttes à soutenir ; luttes avec les élémens physiques : il faut gravir des rochers, traverser des marais immenses ou des rivières dangereuses ; — luttes avec les animaux : jaguars, vampires, moustiques ; — luttes enfin avec la végétation : on doit, la hache à la main, se frayer un chemin à travers les fourrés, les épines des forêts ! « Il semble, écrit M. de Humboldt au sujet des forêts des Chaymas, que la terre, surchargée de plantes, ne leur offre pas assez d’espace pour se développer… Si on transplantait avec soin les orchidées, les pipers et les pothos que nourrit un seul figuier d’Amérique, on parviendrait à couvrir une vaste étendue de terrain. » Tel est le caractère habituel des forêts vierges que d’Orbigny visita ; ce sont des massifs de végétaux enchevêtrés les uns dans les autres. Cependant, au pied de la Cordillère orientale, il rencontra des forêts d’une disposition bien différente. Ses descriptions nous ont montré une fois de plus combien la nature sait varier ses tableaux. Là en effet ce ne sont plus des entrelacemens de mille végétaux parasites, des croisemens compliqués de grandes et de petites plantes ; tout est régulier, uniforme. La végétation constitue quatre zones distinctes de hauteur. Des arbres élevés de 80 à 100 mètres composent une voûte immense qui est épaissie par des lianes et dérobe presque entièrement la vue du ciel. Au-dessous de cette zone supérieure s’élèvent de 20 à 30 mètres des palmiers au tronc grêle et droit. Plus bas encore, à 3 ou 4 mètres au-dessus du sol s’étalent les feuillages d’autres palmiers au tronc encore plus grêle, et que renverserait le moindre souffle de vent ; mais l’orage n’agite que la cime des géans