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enfance à étudier les productions marines. A vingt et un ans, il présentait à l’Académie des sciences un ouvrage sur des animaux microscopiques nommés foraminifères. Dans le rapport que Geoffroy Saint-Hilaire et Latreille firent sur ce travail, on lit ces mots : « L’ordre des foraminifères est une création de M. d’Orbigny. » Parti bientôt après pour le Nouveau-Monde, qu’il parcourut pendant huit années, le jeune savant visita le Brésil, l’Uruguay, la République-Argentine, la Patagonie, le Chili, la Bolivie et le Pérou.

Trois grands fleuves traversent l’Amérique du Sud : l’Orénoque au nord, l’Amazone près du centre, le Parana vers le sud. Sources de richesses agricoles intarissables, voies naturelles de communication entre les peuples les plus éloignés, un jour sans doute ils deviendront les grandes artères de la civilisation américaine. De Humboldt explora l’Orénoque, de Castelnau l’Amazone; d’Orbigny suivit le Parana; il remonta ce fleuve depuis Buenos-Ayres jusqu’à la ville de Corrientes : l’espace parcouru est d’environ trois cents lieues. Il prolongea même sa navigation jusqu’à Barranqueras sur une pirogue si légère, qu’elle risquait sans cesse d’être submergée; plusieurs fois ses rameurs découragés voulurent l’abandonner. Il passa des nuits entières exposé aux attaques des jaguars. Un des plus grands dangers qu’il pût courir était de tomber entre les mains du docteur Francia. Chacun sait l’histoire extraordinaire de cet homme, qui, nommé dictateur du Paraguay, en devint le despote. Francia avait interdit aux étrangers l’entrée de ses états; un voyageur approchait-il de ses frontières, il risquait d’être saisi et jeté en prison pour le reste de ses jours. Bonpland, l’illustre compagnon d’Alexandre de Humboldt, demeura le prisonnier de Francia pendant six ans malgré les instances de plusieurs cours de l’Europe.

D’Orbigny rapporta de l’Amérique plus de quatre mille espèces d’insectes, plus de cent cinquante espèces de crustacés, autant d’espèces de poissons, plus de cent espèces de reptiles, plus de six cents espèces de coquilles, etc. Il décrivit un nombre immense d’êtres nouveaux. Là ne se borna point sa tâche : pour connaître les animaux, il ne suffit pas d’étudier leurs caractères extérieurs ou anatomiques, il faut assister à leur vie, surprendre leurs mœurs, découvrir leur instinct, ce rayon de lumière intellectuelle que l’auteur de la nature a distribué aux créatures les plus humbles. On doit aussi considérer les êtres dans leurs rapports avec les milieux où ils sont placés. Le monde matériel est en effet un antagonisme des forces animales, végétales et minérales : si les animaux agissent sur le règne végétal et le règne minéral, ces deux règnes à leur tour exercent sur les êtres doués de sensibilité une puissante action. Dans une contrée comme l’Amérique du Sud, où l’homme a très peu modifié la nature, on apprécie plus sûrement que dans les pays