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mais nous regarderions comme un immense malheur la nécessité politique qui forcerait notre pays à tourner ses armes contre un peuple si fidèle au sentiment de la dignité humaine, si sagement et si fermement attaché à des institutions qui font sa grandeur et notre admiration. Ce serait d’ailleurs sortir du cadre de cette étude que de nous arrêter sur les chances d’une lutte entre la France et l’Angleterre. Si nous avons été conduit à parler de cette dernière puissance, c’est uniquement par rapport au rôle qu’elle peut jouer à l’aide de sa marine dans une guerre continentale.

Dans cette hypothèse, deux cas se présentent : ou l’Angleterre est l’alliée d’une ou de plusieurs des puissances maritimes du continent, et le poids de son alliance est alors décisif. Appuyés sur elle et sur l’immensité de ses ressources, il n’est rien à quoi ses alliés ne puissent prétendre, aucun but, si hors de leur portée qu’il paraisse, qu’il ne leur soit donné d’atteindre, aucune pensée ambitieuse qui ne puisse être justifiée par le succès. Ou bien l’Angleterre est en guerre avec un ou plusieurs des états maritimes du continent: il est évident dans ce cas qu’elle ne peut porter la guerre chez eux qu’après avoir, d’une manière ou d’une autre, ruiné leur puissance navale; mais son ascendant une fois établi, nul doute qu’elle ne leur inflige alors des maux dont il est nécessaire de savoir mesurer l’étendue. Ces maux, c’est évidemment avec sa marine et non avec ses forces de terre que l’Angleterre les infligera. Débarquer une armée serait pour elle une entreprise trop hasardeuse. Il est manifeste en effet que, si la marine britannique peut fournir des ressources illimitées pour le transport des troupes, les troupes elles-mêmes dont dispose l’Angleterre sont en nombre trop restreint pour lui permettre de soutenir une lutte seule à seule contre une des grandes armées européennes. Que serait devenue l’armée du duc de Wellington en Espagne sans les contingens portugais et allemands qui la grossissaient, sans le soulèvement général des Espagnols, et surtout sans l’appui que lui prêtait l’Europe armée contre nous? Que serait-elle devenue à Waterloo sans les Hollandais et les Belges, et surtout sans les Prussiens?

Avec leur marine seule, ce qui serait possible aux Anglais, ce serait uniquement de faire une guerre de détail, de multiplier les petites expéditions sur tous les points des côtes exposés au canon de leurs vaisseaux, dévaster le littoral, incendier les villes maritimes. On verrait leurs canonnières pénétrer partout dans les fleuves à la façon des anciens Normands, et porter bien loin leurs ravages, pour se retirer peut-être aussi impunément qu’elles seraient venues; car, il faut bien se l’avouer, il est peu de barrières que les navires à vapeur ne puissent aujourd’hui franchir. On forcera l’entrée d’une