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tinentale. Vingt fois il s’en est fait d’aussi nombreux, de plus nombreux même dans les guerres de l’empire. Point de difficulté donc à cette opération du côté de l’armée. Reste à examiner ce qui concerne la marine et ses moyens de transport.

Il est sur ce point assez difficile d’établir des calculs d’une précision absolue, parce que la marine de 1859 ne ressemble guère à celle de 1854: nous étions à cette époque dans une période de transition, d’incertitude et de tâtonnemens; la marine à voiles expirait pour faire place à la marine à vapeur, et les nécessités de la guerre étaient venues nous surprendre au milieu de toutes les hésitations entraînées par l’abandon d’un système qui avait fait ses preuves, et qui était familier à tout le monde. De plus nous avions envoyé nos soldats en Orient un peu au hasard et sans plan arrêté, et nos forces navales de la Mer-Noire, assemblage incohérent de navires à voiles et à vapeur, n’avaient été nullement préparées pour une expédition qui fut décidée sur les lieux et à l’improviste. Nous étions enfin bien loin d’avoir rassemblé là toutes nos ressources. Pendant que nos soldats débarquaient en Crimée, nous avions une escadre qui prenait sa part du succès de Bomarsund, nos stations navales restaient complètes sur tous les points du globe, nombre de nos vaisseaux gisaient désarmés dans nos ports, et nous n’avions pas distrait de son service un seul des paquebots à vapeur que nos compagnies emploient dans la Méditerranée et l’Océan. Il faut ainsi calculer que c’est malgré cet ensemble de circonstances, toutes peu favorables, qu’il nous avait été possible de porter de Varna en Crimée vingt-neuf mille hommes.

Aujourd’hui qu’on nous suppose un peu de temps pour nous préparer, et il est hors de doute que la marine française trouverait des ressources bien plus puissantes. D’abord la transformation de notre flotte à voiles en flotte à vapeur est à peu de chose près accomplie, et nous devons à cette métamorphose non-seulement nos vaisseaux à hélice de construction nouvelle, mais un accroissement soudain dans le nombre de nos bâtimens disponibles. Autrefois en effet notre flotte à voiles se divisait en deux parties presque égales, les bâtimens à flot, employés aux divers services de paix, et la réserve de guerre, composée de vaisseaux et de frégates, que par mesure de conservation on laissait, quoique terminés, sur les chantiers, où on les regardait comme suffisamment disponibles. Dès qu’il fut reconnu qu’un navire, sans l’aide de la vapeur, n’était plus propre à la guerre, l’ordre fut donné de pourvoir de machines tous ceux de nos navires à flot qui en valaient la peine, aussi bien que la réserve en chantier. Et comme on ne tarda pas à s’apercevoir que l’opération du montage des machines, impossible à bord d’un grand navire