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rôle d’Assur, un des plus difficiles de l’ancien répertoire. Si Mme Penco n’a pas le physique ni la puissance de voix et de vocalisation qu’il faudrait pour représenter le personnage redoutable de Sémiramis, elle supplée à ce que la nature lui a refusé par de l’intelligence et une sensibilité trop vive pour une reine de Babylone, qui ne ressemble pas à une héroïne de roman moderne. Quant à Mme Alboni, c’est la perfection vocale adoucissant toutes les aspérités du rôle d’Arsace, qui n’est pas un caractère aussi élégiaque qu’elle le représente; mais que voulez-vous exiger de plus que le plaisir exquis qu’on éprouve à entendre chanter par l’Alboni et Mme Penco le duo admirable du second acte? C’est le cas de s’écrier, avec Arsace tout ému :

Ah! tu mi strappi l’anima...

On a repris aussi au Théâtre-Italien la jolie partition de M. de Flotow, Marta, avec Mme Frezzolini, qui est revenue d’Amérique bien fatiguée, bien amoindrie, hélas! Elle chante pourtant avec un sentiment parfait la romance de la rose, un rien, un parfum des bois, une ressouvenance d’un premier et ineffable amour! Quant à la reprise de Mathilde di Shabran, qui a eu lieu tout récemment, on aurait pu se dispenser de défigurer cette jolie partition mineure de Rossini, que nous avons entendu si bien chanter, il y a quelques années, par Mmes Bosio, Borghi-Mamo, et M. Luchesi. Ni Mme Penco, ni surtout Mme Nantier-Didiée, qui veut à toute force avoir un contralto quand la nature lui a donné un mezzo-soprano, ne possèdent la voix et le genre de flexibilité nécessaires pour bien rendre cette musique, légère et transparente comme une vapeur. Que sera-ce donc avec le Don Juan de Mozart, qu’on a eu la témérité de promettre au public?

Cependant les concerts retentissent de toutes parts. La Société du Conservatoire, celle des Jeunes-Artistes, les séances de quatuor de MM. Alard et Franchomme, celles de MM. Maurin et Chevillard, de MM. Armingaud et Léon Jacquart, etc., attirent cette foule d’élite qui augmente chaque année, qui aime et qui comprend la musique pure, la musique qui vit de sa propre vie, sans avoir besoin de décors ni de prestige dramatique. Nous suivons toutes ces fêtes d’un œil vigilant, et nous rendrons à tous bonne et rigoureuse justice. Déjà nous pouvons dire que nous avons entendu un enfant digne du plus grand intérêt : c’est le jeune Henri Ketten, d’une physionomie charmante, et qui joue du piano avec une assurance, une précision et une grâce remarquables. Il a exécuté dans la salle de M. Herz un concerto de Hummel, avec accompagnement d’orchestre, d’une manière ravissante. Si on ne le fatigue pas, si on ne lui fait pas jouer imprudemment le rôle miraculeux de celui qui a été unique dans le monde et qui s’appelle Mozart, on peut espérer que le jeune Henri Ketten, qui connaît la musique comme un maître, sera un jour un grand artiste.

L’école de musique religieuse, fondée il y a quelques années et dirigée par M. Niedermeyer, a donné le 21 décembre, dans la salle de M. Pleyel, une séance pour la distribution des prix mérités par les élèves pendant l’année scolaire de 1857 à 1858. M. Le directeur-général des cultes, qui présidait la séance au nom du ministre, a prononcé quelques paroles, où il s’est efforcé de raconter au nombreux auditoire qui remplissait la salle le mouvement qui s’est fait depuis cinquante ans, en France, dans les études de