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dition de Rome et que nous avons jusqu’à ce jour continué à monter la garde devant le Vatican, d’obtenir du saint-père des réformes administratives et politiques qui lui permettent de vivre en tête-à-tête avec ses sujets, et de se passer de nos régimens et de ceux de l’Autriche. Si, dans la défense légitime de ces intérêts, la France, chose peu probable, car qui oserait nous chercher une querelle d’Allemand ? était traversée et attaquée injustement par une puissance étrangère, elle serait bien forcée d’accepter la guerre ; mais tant qu’une agression extérieure ne lui aura pas imposé cette douloureuse nécessité et tant qu’elle conservera son libre arbitre, c’est par la paix, non par la guerre, qu’elle devra seconder le mouvement des destinées italiennes.

Il y a si longtemps que l’Europe n’a point vu de guerres de caprice ou de système, qu’il semble qu’il y ait quelque chose de monstrueux rien qu’à poser froidement cette question : Est-ce par la paix ou par la guerre que la Franse doit chercher en Italie la satisfaction de ses intérêts et le succès de ses sympathies ? Supposer qu’ayant le choix, elle optât par caprice ou par système pour la guerre, c’est outrager la France, c’est lui prêter une folle ambition. Des raisons de toute sorte, des raisons intérieures et des raisons extérieures, rendraient regrettable pour la France une guerre même nécessaire, une guerre dont elle n’aurait pas la responsabilité morale.

Les raisons intérieures sont évidentes. Il faut bien le reconnaître en effet, la guerre a, dans le mauvais sens du mot, un caractère essentiellement révolutionnaire : elle remet à la force, c’est-à-dire à la fatalité, la conduite des choses humaines. Une politique qui recourt sans nécessité à la guerre est une politique qui abdique sa raison et son libre arbitre, — qui consent à ne plus demeurer maîtresse de la conduite de ses desseins et des conséquences de ses actes. Cette abdication est douloureuse à toute intelligence fière, même lorsqu’elle est imposée par un ennemi déraisonnable. Faite spontanément et délibérément, elle ne pourrait être que l’acte d’un joueur ou d’un désespéré. Le sens commun et des intérêts puissans mettent la France à Fabri d’une pareille témérité. Les conséquences économiques des guerres sont aujourd’hui trop bien comprises pour être négligées dans les délibérations des hommes d’état. On sait que toute guerre est une destruction de capital, que le capital est la réserve sur laquelle vivent l’esprit d’entreprise et le travail, et que toute guerre est par conséquent la dilapidation des ressources des travailleurs et une cause d’appauvrissement et de longues souffrances. Tout cela est démontré avec une certitude mathématique, et se précipiter dans une guerre qui pourrait être évitée, c’est à notre époque semer sciemment d’incalculables misères à travers les générations. Les intérêts matériels, instinctivement attachés à la paix, sont donc étroitement liés aux intérêts moraux les plus élevés. Ils pèseront toujours d’un poids immense dans la l)alance des décisions d’un gouvernement demeuré maître de ses desseins. Parmi ces intérêts, il en est d’ailleurs qui servent merveilleusement par la paix l’action extérieure de la France, et qui procurent à l’influence française des avantages plus légitimes et plus durables que ceux que les politiques du passé cherchaient dans la suprématie des armes. Telles sont ces grandes entreprises de chemins de fer que le capital français com-