le circulus et la religion de Ciel et terre? et où irons-nous si la société continue à exagérer l’importance de l’industrie, et à réhabiliter la chair outre mesure? Utopistes pour utopistes, je préfère ces hommes de savoir à M. Enfantin, car ils ont l’intelligence plus élevée, et ils sont peut-être plus inoffensifs.
Vous aurez remarqué sans doute cette épithète méprisante : hommes de savoir, et cette autre qualification plus méprisante encore : idolâtres fanatiques de l’esprit et de la liberté, — sous lesquelles M. Enfantin pense écraser ses adversaires. Au premier abord, on se demande quel si grand mal il y a donc à être un homme de savoir, un idolâtre de l’esprit et de la liberté! Ce sont là de belles idolâtries, et qu’on peut recommander sans crainte que les idolâtres tombent jamais dans la superstition et le fétichisme: mais, en réfléchissant un peu, on arrive à comprendre le sens véritable de ces paroles. M. Enfantin a des haines secrètes, latentes, qui se dissimulent habilement, mais qui cependant commettent assez d’imprudences pour se laisser apercevoir et saisir. Ce grand harmoniste, qui est venu dans le monde pour faire cesser la guerre du cerveau contre le cervelet et proclamer la sainteté des organes sexuels, a rêvé une société fondée sur le fatalisme de la nature. Tout ce qui se rapproche de ce fatalisme, l’instinct animal, la crédulité, la force, lui va à merveille; mais tout ce qui s’en éloigne, la volonté, la raison, la liberté, la force morale, le gêne fort. En conséquence, il déteste l’intelligence de toute son âme. M. Enfantin vous parlera tant que vous voudrez des droits de la science ; il vous inventera, si vous y tenez, des triades triangulaires, beaux-arts, science, industrie; ce sont là des formules commodes sous lesquelles se cache sa véritable pensée. Au fond, il n’admet qu’une seule classe d’hommes, celle qui compose la troisième caste de l’Inde. Il a rêvé une société d’artisans commandée par une hiérarchie de contre-maîtres, ayant à sa tête un prince de l’industrie. Voilà son rêve favori : une société d’artisans, de producteurs, travaillant du haut en bas de l’échelle sociale à des objets d’utilité pratique, heureux de recevoir en échange de leur travail matériel la plus grande sommée de bonheur matériel possible. Ce serait en effet une société très facile à gouverner, très soumise, très obéissante, peu exigeante, et qui ne troublerait pas la royauté du prophète de vaines demandes libérales. Panem et circenses, telle serait en deux mots la charte du peuple et de son despote; mais si une seule âme libre venait à entrer dans cette république de castors, adieu le rêve de M. Enfantin! Il est bon par conséquent de ravaler autant que possible les facultés idéales de l’homme : la guerre excentrique qu’il poursuit contre le cerveau n’a pas d’autre raison d’être. Déclarons donc que la volonté est une reine tyrannique, la raison une usurpatrice, la liberté un mythe, le savoir