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science que lorsqu’elle aura posé pour base et pour but de ses études l’androgénéité. » Telles sont les belles inspirations que lui souffle d’ordinaire l’esprit de Dieu. C’est pour proclamer au monde d’aussi intéressantes vérités qu’il a été foudroyé par la parole de Saint-Simon, comme saint Paul autrefois sur le chemin de Damas. « Si saint Paul, Constantin, Clovis et moi-même (je tiens à me donner comme exemple, parce que ce n’est pas seulement une histoire, une observation enregistrée, c’est un fait, je n’en puis douter) ; si saint Paul, Constantin, Clovis et moi-même, nous avons été foudroyés par un amour universel qui nous a régénérés, il est possible, cher docteur, que dans votre vie vous ayez été amoureux. » Je prie le lecteur de remarquer les noms des prédécesseurs de M. Enfantin. Il est saint Paul sans doute; mais la gloire de l’apôtre ne lui suffit pas, il est encore au moins en puissance Constantin et Clovis. Le retour fréquent sous sa plume des noms de ces grands princes est un trait de caractère, ou je me trompe fort. M. Enfantin a un goût particulier pour la domination, le commandement, la force. Il aurait voulu réunir sur sa tête la double couronne temporelle et spirituelle, être empereur en même temps que pape. Ah! s’il avait pu être Clovis aussi bien que saint Paul, avec quelle violente onction, au moyen de quelles doucereuses compressions nous aurions été parqués, classés, étiquetés, groupés ! La société française n’aurait rien à envier aujourd’hui à la république des castors; mais la destinée a trahi M. Enfantin, et a laissé aux citoyens français la liberté de se moquer de ses prophéties à leurs risques et périls.

Ainsi que tous les pouvoirs infaillibles, M. Enfantin n’admet pas qu’on puisse penser autrement que lui; grand partisan de l’harmonie et de l’unité, il n’admet pas les schismes et les dissidences. Quiconque pense autrement que lui et son maître sera damné dans l’autre vie comme Auguste Comte, ou bien marchera dans les sentiers de l’erreur, et se nourrira de vent et de fumée dans ce monde, comme MM. Jean Reynaud, Pierre Leroux, Carnot, etc. M. Enfantin a toutes les qualités voulues pour être souverain pontife; il saurait au besoin anathématiser, excommunier et maudire. « Comprenez-vous, par exemple, un organe plus honteux que le cerveau d’un nouveau Judas reniant son maître, lui crachant à la face, couvrant cette belle tête d’un éteignoir et cachant sa vive lumière sous un boisseau, afin que ses propres élèves ne puissent voir et admirer son auteur, son père; leur déclarant impudemment que Saint-Simon lui avait volé et gâté ses idées, lui qui n’avait pour toute doctrine que des idées de Saint-Simon, publiées au moment de sa propre naissance; lui qui, après avoir blasphémé contre toute religion, s’est fait pape; lui qui repoussait de sa science négative, qu’il appelait positive, le