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de la Sardaigne, disait-il au parlement, se sont retirés sans colères personnelles, mais avec l’intime conviction que les politiques des deux gouvernemens étaient plus que jamais éloignés de s’entendre, et que les principes des deux pays étaient plus que jamais inconciliables… » Dès ce moment, la situation ne cesse de s’aggraver et de s’aigrir. Les démonstrations d’antipathie et de défiance se succèdent, si bien qu’en 1857 une rupture diplomatique éclate à la suite d’une démarche d’impatience du cabinet de Vienne contre les journaux de Turin et contre toutes les manifestations italiennes. D’incident en incident, la lutte a marché, et lorsqu’il y a près d’un an, dans une des plus graves discussions du parlement de Turin, on interrogeait M. de Cavour sur ce qu’il voulait faire en Italie, sur les moyens qu’il avait pour atteindre son but, il répondait : « Ce n’est pas la diplomatie qui accomplit les grands changemens, mais elle peut les préparer. Pour les accomplir, le ministre des affaires étrangères ne suffit pas seul ; il a besoin de quelques autres de ses collègues. » Ainsi cette politique italienne, telle qu’elle s’est successivement dévoilée, conduit le Piémont à une situation qui, si elle n’est pas l’hostilité matérielle, est au moins la dernière extrémité de l’hostilité morale dans les limites des traités et de la paix.

Politique hardie, sans doute, mais qui a aussi ses périls, car elle place le Piémont dans des conditions extraordinaires. Elle concentre en elle toutes les forces du pays. En se confondant avec le système constitutionnel, elle l’éclipsé presque ; elle nécessite un état militaire permanent considérable, et elle se traduit financièrement par deux chiffres éloquens : 40 millions d’intérêts pour la dette et 40 millions pour le budget de la guerre. Le Piémont offre ce phénomène curieux d’un petit peuple qui a une politique supérieure à sa position territoriale. Ce phénomène lui-même cependant est-il une nouveauté autant qu’on le pourrait croire ? La surface des choses change, le fond reste le même. Joseph de Maistre disait de son temps : « Le diamètre du Piémont n’est point en rapport avec la grandeur et la noblesse de la maison de Savoie. » Le Piémont constitutionnel et libéral est ainsi : le diamètre de son territoire n’est point en rapport avec son rôle moral. Devenu le centre, le foyer de toutes les espérances, de toutes les aspirations italiennes qui refluent en quelque sorte dans ce petit coin de terre, il se sent à l’étroit dans ses frontières, et la liberté nouvelle, en étendant son influence, vient en aide à ses traditions d’agrandissement par l’émancipation nationale de l’Italie, ou du moins de la partie de l’Italie restée soumise à une domination étrangère. De là cette attitude militante d’un peuple toujours prêt à l’action. Il y a dans l’atelier d’un sculpteur de Turin une statue destinée à couronner un monu-