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berté constitutionnelle, qui a eu le souverain mérite et l’heureuse fortune de ne pas naître d’une révolution violente, d’échapper à toutes les réactions, et de rester l’auxiliaire, la condition, dirai-je, d’un système traditionnel, rajeuni par toutes les idées modernes. L’histoire du Piémont est là tout entière depuis onze ans.

Un des plus curieux spectacles contemporains, c’est peut-être celui de ce petit pays, mêlé, comme tous les états italiens, au mouvement libéral et national qui emportait la péninsule en 1847, engagé plus que tous les autres dans une croisade d’indépendance où il dévouait son armée et sa fortune, atteint d’un désastre accablant, et se retrouvant debout le lendemain avec la liberté de ses institutions et la dignité d’une politique indépendante. Se réveiller du mauvais rêve de la défaite, reconstituer ses forces, coordonner des institutions nouvelles, ou mieux encore ne pas perdre ces institutions, renouveler ses ressources épuisées, ce sont là les problèmes que le Piémont avait à résoudre. Le Piémont n’a pas tout fait sans doute, il s’en faut ; mais il a fait en ces dix années deux choses qui caractérisent son rôle et sa situation : il a donné le salutaire exemple d’un pays qui vit par la liberté sans glisser dans l’anarchie, et il a travaillé à dégager la politique italienne de la confusion immense où elle était tombée en 1848, pour la ramener à ce qu’elle a d’essentiel. Je ne veux pas faire en ce moment l’histoire du gouvernement constitutionnel à Turin ; je voudrais seulement montrer comment le Piémont a échappé au naufrage universel des révolutions italiennes. Qu’on se représente un instant ce terrible lendemain de Novare. Le pays était ouvert devant l’Autriche, qui pouvait aller camper à Alexandrie. L’armée était désorganisée, et le trésor était vide. À Gènes, une insurrection républicaine éclatait, et à Turin même les passions révolutionnaires étaient exaspérées d’un désastre qui était leur œuvre. En Italie, le Piémont était suspect aux révolutionnaires et aux gouvernemens ; en Europe, il avait des amis qui avaient blâmé cette nouvelle guerre, qui accusaient ses témérités, et qui d’ailleurs ne pouvaient plus songer désormais qu’à lui épargner les conséquences les plus dures de la défaite. C’est dans ces conditions, aggravées encore par un changement de règne, que s’inaugurait une nouvelle situation. Si le gouvernement se tournait vers l’Autriche, il trouvait un ennemi hautain, qui dictait une paix accablante, et s’il se tournait vers le parlement, il trouvait une chambre toute pleine des passions démocratiques qui avaient poussé à cette prise d’armes, et qui refusaient puérilement de subir les nécessités rigoureuses qu’elles avaient créées. La chambre marchandait au ministère le moyen de vivre en ne lui accordant que de mois en mois le droit de percevoir les contributions : elle le plaçait entre