Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des nuages sombres frangés d’argent. Le golfe de Chillon était rempli par un triangle ténébreux, ombre des monts prochains. À droite, le golfe de Vernex resplendissait dans la lumière, lumière dont nous aimions à saluer avec amour toutes les apparitions, et dont la lutte avec les ténèbres nous intéressait autant que les adorateurs d’Ormuzd.

Quand le paysage semblait complètement endormi dans la brume, tout à coup un rayon de soleil lui rendait l’éclat et la vie. Une après-midi, comme je revenais avec Éléonora de la terrasse de l’église, le soleil apparut sur la crête du mont Sonchaud. Les sapins qui surgissaient de la neige revêtirent alors les plus belles teintes. Des masses entières de ces arbres restaient dans l’obscurité ; quelques-uns étaient d’un jaune vert, d’autres portaient à la pointe comme une auréole fantastique. En arrivant à Veytaux par le sentier qui traverse les vignes le long d’un ruisseau murmurant, nous trouvâmes une vue encore plus belle. Entre les deux montagnes qui abritent le village s’élèvent à quelque distance deux pics de forme inégale, qui, dans cette saison, sont souvent seuls couverts de neige. Ces deux pics, dont le sommet d’albâtre se dégageait d’un brouillard léger, resplendissaient comme si un de ces olympiens chantés par le divin Homère avait touché la cime de son pied immortel.

Mais c’était surtout au coucher du soleil que nous nous plaisions à admirer l’aspect magnifique du lac, qu’on apercevait d’une de mes fenêtres dans toute son étendue. Une lueur orangée colorait alors l’occident à l’endroit où les montagnes de la Savoie s’abaissent dans le lac. Ces montagnes se détachaient vigoureusement sur l’horizon embrasé. À droite, une zone pourpre couronnait les coteaux et s’affaiblissait dans la direction de Vevey ; au milieu du lac flamboyait un foyer merveilleux, tandis que les eaux étaient sombres sous Villeneuve, d’un azur pâle sous Veytaux, et d’une couleur gris de perle coupée de bandes rouges le long de la rive savoisienne. Un soir, ce spectacle, toujours admirable, avait quelque chose d’attristant. Les monts de la Savoie étaient enveloppés d’un voile épais surmonté d’un dais d’azur pâle qu’illuminait un soleil mourant. Le voile grandissait vers Lausanne, et formait comme une chaîne de vapeurs amoncelées qui s’élevait dans l’espace. Quelques lignes couleur de sang sillonnaient ces masses lugubres. Telle dut être la terre après les déluges des temps primitifs, quand un rayon lumineux commençait à sourire à travers les ténèbres à l’univers désolé.

Dans la dernière semaine de décembre, la neige, qui s’amassa sur les montagnes, nous interdit toute promenade. Rien n’est triste comme un lac quand les frimas l’environnent. L’éblouissante blancheur