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autant de pas vers le but, La guerre de la succession d’Espagne vaut au Piémont Vigevano, Monferrat, la Lomelline, la vallée de Sesia, l’Alexandrin ; à la guerre de la succession de Pologne, il gagne Novare et Tortone ; un autre lambeau de la Lombardie lui échoit à la guerre de la succession d’Autriche, Bobbio, le Haut-Novarais, un morceau du pays de Pavie. C’est ce qu’un des princes de Savoie du dernier siècle appelait dans un langage qui n’était pas entièrement politique : « Manger l’artichaut feuille à feuille. » De cette tendance permanente il est résulté deux choses : plus le Piémont s’est avancé dans la Lombardie, plus il a senti le besoin d’avoir le Milanais tout entier, ne fût-ce que pour couvrir une frontière ouverte, inégale et sans défense. En outre, dans cette marche progressive, le Piémont se trouvait nécessairement en face de l’Autriche, et c’est ainsi que cette politique italienne de la maison de Savoie, qui dans la pensée d’Emmanuel-Philibert tendait à exclure tous les étrangers de la péninsule, est devenue par la force des choses une politique directement hostile et offensive contre l’Autriche, demeurée l’unique dominatrice étrangère au-delà des Alpes, tandis que l’Autriche à son tour a vu son unique et réel ennemi dans le Piémont. De là l’étrange politique suivie par le cabinet de vienne pendant la révolution française. Sa pensée était moins de défendre le Piémont comme un allié que de le laisser disparaître en essayant de garantir ses propres possessions. « Où donc est la nécessité d’un roi de Sardaigne ? » disait-il dans les négociations de Lunéville. De là aussi la politique du Piémont, qui voulait d’abord opposer aux invasions de la république une ligue italienne, puis ne se rejetait qu’avec regret dans une alliance avec l’Autriche, et enfin essayait de faire prévaloir dans ses négociations avec la France cette idée toujours caressée d’un royaume de l’Italie du nord.

La politique du Piémont sort de toutes ces luttes ; elle est devenue forcément anti-autrichienne, et elle a été surtout confirmée dans ces tendances par les traités de 1815. Cette idée d’antagonisme vis-à-vis de l’Autriche a été en quelque sorte une maxime d’état pour les hommes politiques piémontais, et non pas seulement pour ceux qu’on appelle des révolutionnaires, mais pour tous ceux qui ont l’instinct des destinées de leur pays. Le comte d’Aglié, ministre du roi de Sardaigne à Vienne, s’en inspirait en 1815 dans une lettre remarquable qu’il adressait à lord Castlereagh, et où il s’efforçait de rendre sensibles tous les dangers de la domination impériale au-delà des Alpes, — et vraiment la politique anti-autrichienne a trouvé un auxiliaire des plus imprévus, des plus extraordinaires dans le comte de Maistre lui-même, dont la correspondance diplomatique a révélé un homme si singulièrement hardi. L’incompatibilité de l’Autriche et