sensible le poids de la conscription militaire, comme on l’a vu récemment, il n’en faut pas plus pour que toutes les incompatibilités éclatent à la fois. Ces faits n’auraient eu sans doute qu’une importance secondaire s’ils ne s’étaient liés à une situation générale pleine de périls, non de ces périls d’insurrection contre lesquels l’Autriche est redoutablement armée, mais de ces dangers mystérieux, insaisissables, qui échappent à l’action de la force elle-même. Il a été démontré une fois de plus qu’après quarante ans de durée la domination impériale se sentait moins affermie, plus précaire, plus contrainte à s’attester qu’elle ne le fut jamais. Matériellement l’Autriche a maintenu son pouvoir, moralement elle n’a rien gagné ; elle campe toujours à Milan et à Venise, elle n’y règne pas. On a raconté, comme un épisode de l’agitation récente en Lombardie, que quelques Italiens de Milan étaient allés crier vive l’Italie ! en face des Croates, qui les regardaient en riant, et ne les comprenaient pas. L’incident est bizarre et puéril en apparence ; au fond, il est plus significatif qu’on ne croit. C’est l’image des relations de ces deux peuples que la fortune des congrès a juxtaposés, et qu’aucun lien moral ne réunit, qui ne se comprennent pas. L’Italie présente un phénomène extraordinaire, celui d’une nation au-dessus de laquelle la conquête passe sans l’atteindre, et qui, repliée en elle-même, semble impénétrable à l’influence étrangère qui la domine. On peut énumérer toutes les faiblesses des Italiens, leur passion de discorde et de division, leurs mobilités et leurs fanatismes ; c’est quelque chose cependant, même dans la politique, que ce sentiment de nationalité obstiné et invincible se défendant comme il peut, quelquefois puérilement, souvent par la résistance passive, et opposant une protestation perpétuelle à une domination étrangère.
Ce qu’il y a de grave, je le disais, c’est que l’Autriche au-delà des Alpes, ce n’est pas seulement l’Autriche à Venise et à Milan, c’est l’influence autrichienne enveloppant la plupart des autres états de l’Italie, identifiant des situations et des intérêts profondément distincts. L’Autriche est dans la Lombardie et dans la Vénétie sous la sanction d’un verdict du congrès de Vienne, et de plus les traités de 1815 et de 1817 lui ont donné ce qu’on pourrait appeler des positions avancées telles que le droit de tenir garnison à Ferrare et à Comacchio dans les états pontificaux, à Plaisance dans le duché de Parme, — aux deux extrémités de sa ligne de défense. Strictement, c’est là son droit aux yeux de l’Europe ; mais à ce droit strict et primitif est venu se superposer tout un droit nouveau ou plutôt une politique qui n’est, en d’autres termes, que l’extension indirecte et indéfinie de la prépondérance autrichienne. De même que l’Autriche a voulu, par un calcul dangereux, arracher en quelque sorte ses