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de l’isolement volontaire où il s’est placé il a eu un seul moment de repos! » Peut-on moins déguiser son ressentiment et montrer plus clairement qu’on ne se soucie que de sa propre vengeance?

Pour mieux la servir, il ne chercha qu’à grossir les rangs des agresseurs et à faire combattre à côté de lui de nouveaux alliés qui n’avaient pas le même drapeau, et qui devaient être tout disposés à se retourner contre lui le lendemain d’une commune victoire. Il adopta ainsi une tactique de coalition qui ne pouvait servir qu’au discrédit des institutions parlementaires et au renversement de la monarchie. M. Decazes tombant du pouvoir devant les accusations les plus calomnieuses, M. Le duc de Richelieu renversé de son second ministère par un blâme injuste sur sa politique extérieure, avaient conservé une noble attitude dans leur disgrâce. Chateaubriand, en donnant l’exemple contagieux de ces guerres de portefeuille poursuivies à outrance, n’a réussi qu’à inspirer à une partie de la nation le dégoût du gouvernement constitutionnel, qui a le malheur de rendre publics ces désordres de l’ambition plutôt qu’il ne les fomente. Quant à la monarchie, elle ne pouvait qu’être ébranlée par les coups qu’elle recevait sous le nom de ses ministres. En combinant contre le cabinet tous les efforts des divers partis, Chateaubriand força M. de Villèle à se livrer sans réserve à l’extrême droite, de même qu’autrefois son opposition, sortant des justes bornes, avait poussé M. Decazes dans une direction contraire. Enfin par la violence de son langage, renouvelée de son ancienne polémique, il diminuait chaque jour le respect du trône, quand il croyait affaiblir seulement le ministère. Les lettres de félicitation et d’adhésion qu’il reçut à diverses dates, entre autres celles de M. Etienne et de M. Benjamin Constant, qu’il a enregistrées avec complaisance dans ses mémoires, sont le triste témoignage de son aveuglement. Il avait, sans le soupçonner, sapé le gouvernement qu’il voulait fonder. Il pouvait se flatter, dans ses naïves illusions trop tôt dissipées, d’être devenu le dominateur avoué de l’opinion, et d’avoir fait passer de son côté cette jeune France, qui allait prendre parti pour la révolution; mais en recherchant ainsi au gré de ses passions une popularité fugitive, il s’était rendu incapable de reprendre la confiance du roi Charles X, et il s’était interdit d’avance le rôle utile qu’il aurait pu jouer au milieu des événemens qui se succédaient. Quand le ministère de M. de Martignac appela ses amis au pouvoir, son adhésion ne put être d’un grand secours pour leur politique, et il fut éloigné par une ambassade à Rome. Quand M. de Polignac fut chargé de mener le deuil de la royauté, il ne put que prophétiser dans quelques pages du Journal des Débats les malheurs qui se préparaient. Enfin, quand les ordonnances eurent donné un prétexte au soulèvement populaire, il resta à l’écart de ceux qu’il aurait pu rallier au-