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armé. M. de Chateaubriand se flatta plus tard d’avoir prévu dès lors qu’on menait la monarchie légitime à sa ruine : est-ce la politique libérale ou ne sont-ce pas plutôt les excès de la droite qui ont provoqué le fatal renversement du trône? Et M. de Chateaubriand ne devait-il pas vanter et servir lui-même quelques années ensuite le gouvernement du parti modéré sous le ministère trop court de M. de Martignac? En renversant en 1820 les hommes qui étaient le plus sincèrement dévoués à la charte et qui pouvaient le mieux en assurer l’affermissement, il rendit un mauvais office à la monarchie, et fut peut-être le premier à préparer les malheurs qu’il aimait tant à prédire.

Toutefois, si M. de Chateaubriand, par les seules forces de la polémique, a fait arriver prématurément la droite au pouvoir, on ne peut se dissimuler qu’il avait depuis quelques années heureusement transformé ce parti. On peut lui reprocher d’avoir manqué de mesure dans son opposition, mais il faut reconnaître combien l’action de son opinion avait été salutaire et prompte sur les derniers admirateurs de l’ancien régime. Peut-être fallait-il qu’il entrât dans leurs rangs comme il le fit pour leur faire accepter quelques-unes des idées modernes, et si M. de Villèle et ses amis, parvenus au pouvoir, respectèrent littéralement la charte, c’est peut-être à lui qu’on doit cette conversion. Il fut, dit-il lui-même, un maître d’école de constitutionnalité. M. Villemain a parfaitement jugé cette partie du rôle de Chateaubriand; en mettant de côté tous les chapitres de la Monarchie selon la charte qui touchent seulement aux intérêts du moment, il voit dans ce livre l’exposition nette et précise des principes de la royauté tempérée. « Là, dit-il, nulle chimère de souveraineté nationale servant à supprimer la discussion et le contrôle,... droit inviolable, mais limité, du prince, responsabilité des ministres, puissance des majorités parlementaires. Le roi leur cède en changeant ses ministres, ou les dissout en consultant les électeurs. Le roi est au sommet, la nation au centre et partout répandue par l’expression libre et légale de ses besoins et de ses vœux. La vérité monte d’un degré à l’autre, et le jeu régulier des institutions suffit pour en assurer le bienfait à tous. » Et plus loin, après avoir raconté le triomphe du côté droit, il ajoute avec raison : « Nul doute que la vive empreinte, l’éclat populaire dont l’auteur de la Monarchie selon la charte avait marqué plusieurs principes du droit politique n’ait encore servi à les défendre, et n’en ait maintenu l’influence malgré bien des préventions et des entraves. »

A l’époque où parut cet ouvrage célèbre, en 1816, les difficultés exceptionnelles de la situation n’avaient pas encore permis au gouvernement de donner le champ libre à la presse quotidienne; mais