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la puissance à son parti; Louis XVIII se souvenait heureusement qu’il n’était plus le roi d’un parti, mais le roi de la France. Les gouvernemens de hasard et de passage peuvent seuls amener à leur suite une coterie victorieuse; un pouvoir régulier, légitime et qui se croit définitif, doit effacer les traces de toutes ces divisions, provoquer le concours de tous les citoyens, étendre sur tous une impartiale protection. Telle était la volonté personnelle du roi Louis XVIII, soutenue par la majestueuse croyance qu’il avait à son droit et à son titre de roi légitime. Souverain constitutionnel, il se crut obligé de faire de tristes concessions, dans les premiers mois de la restauration, aux fougueux royalistes qui composaient la majorité des chambres; mais il chercha du moins avec une rare constance à contenir leur zèle et à leur inspirer des sentimens plus dignes de la cause qu’ils servaient. En appelant à la direction des affaires, malgré cette majorité, les hommes du caractère le plus conciliant et du cœur le plus élevé, il montra quelle était la ligne de conduite qu’il voulait suivre, et en prononçant, aussitôt que les circonstances le lui permirent, la dissolution de la chambre introuvable de 1815, en faisant appel à la nation tout entière contre les amis insensés du trône[1], il donna un exemple, peut-être unique dans l’histoire, de la confiance d’un souverain dans son peuple.

L’ordonnance du 5 septembre 1816, titre de gloire du roi et de ses ministres, décida pour quelques années le triomphe de la politique libérale et modérée. Le vaisseau, ballotté par des vents contraires, n’avait pu jusqu’alors trouver sa voie : il était maintenant lancé en pleine mer; mais il n’était pas à l’abri des orages. Chateaubriand, le harcelant sans cesse, allait déchaîner contre lui les vents et les flots. Avec la dissolution de la chambre coïncida la publication de la Monarchie selon la Charte, livre rempli de vérités puissantes, qui rendaient d’autant plus séduisantes et dangereuses les attaques violentes auxquelles elles se trouvaient mêlées. Après avoir fait une exposition irréprochable des principes de la monarchie constitutionnelle, l’auteur s’élevait avec véhémence dans un post-scriptum contre la dernière mesure du gouvernement, et insinuait même qu’elle avait été imposée par les ministres à la faiblesse du roi. Chateaubriand fut frappé, il perdit son titre et sa pension de ministre d’état; son livre fut saisi par la police, avec trop de rigueur peut-être, pour une contravention aux règlemens de l’imprimerie. De ce jour il devint implacable, et se jeta dans une opposition systématique qui devait amoindrir sa dignité et compromettre les intérêts mêmes de la monarchie.

Il fait quelque part dans ses mémoires l’éloge de l’opposition

  1. Circulaire de M. Decazes, 12 septembre 1816.