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seulement sur quelques-unes d’entre elles. Il est inutile d’ajouter que cette audacieuse déclaration de principes resta sans réponse, et que nulle poursuite ne fut exercée.

Cette significative entrée en matière n’était qu’un prélude à des mesures plus générales. Peu après, une seconde proclamation avertit les personnes qui ne se sentiraient pas la conscience nette d’avoir à évacuer la ville dans un délai de cinq jours, passé lequel elles seraient exportées de gré ou de force. L’exécution ne se fit pas attendre, et chaque semaine de nouvelles cargaisons de malfaiteurs quittèrent non-seulement San-Francisco, mais la Californie, car les autres villes qui s’étaient fondées dans le pays, Stockton, Marysville, Sacramento, etc., avaient suivi l’exemple de la capitale, de sorte que les divers comités de vigilance, par la simultanéité de leur action, couvraient le pays d’un vaste réseau auquel il était difficile de se soustraire. Chaque expulsion était précédée d’une instruction assez sommaire, mais impartiale. Enfin une dernière proclamation, plus extraordinaire encore, par laquelle le comité s’arrogeait un droit illimité de visite domiciliaire, vint compléter ce programme, dont s’étonnera à bon droit quiconque connaît le tempérament anglo-saxon. S’il est en effet une liberté spécialement précieuse à cette nature ennemie de l’arbitraire, c’est celle du foyer, c’est l’inviolabilité du seuil domestique. La maison de l’Anglais est sa forteresse; every Englishman’s house is his castle, dit orgueilleusement le citoyen de la Grande-Bretagne, et cette maxime n’est pas moins chère à l’Américain, que la loi autorise à se défendre chez lui par tous les moyens possibles. Le Californien sacrifiait pourtant sans hésiter un droit qu’en d’autres circonstances il eût défendu à tout prix, car il comprenait combien il importait de laisser latitude entière au comité pour nettoyer les étables d’Augias qui souillaient la ville.

Au mois d’août 1851, il y avait trois mois que l’autorité régulière assistait, sans oser intervenir, à cette usurpation de pouvoirs inouïe, et le gouverneur crut enfin le moment propice pour revendiquer ses droits, un peu oubliés. Ayant fait envahir à l’improviste la prison du comité par une escouade d’agens de police, il réussit à s’emparer de deux condamnés qui s’y trouvaient; mais ses adversaires n’étaient pas gens à se laisser ravir par surprise tout le fruit de l’énergie précédemment déployée : aussi trois jours après, c’était un dimanche, vinrent-ils à leur tour assaillir en force la prison de la ville, et en moins d’un quart d’heure la foule vit de nouveau deux cadavres se balancer dans l’espace. Ce terrible exemple fut le dernier: il avait fallu toute la gravité des circonstances pour motiver une situation aussi exceptionnelle, et dès que le rétablissement de