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tion que le gouvernement devrait conserver à cet égard risque ainsi d’être abandonnée à tel ou tel club politique, formé pour agir dans les élections, mais qui, bientôt exalté par ses victoires sur ce terrain, prétend régenter l’état, et devient un auxiliaire fort incommode. N’osant rompre avec lui, le pouvoir s’en sert comme d’un instrument, afin d’obtenir par voie indirecte les effets de l’intimidation dans certains cas où il serait dangereux de l’exercer d’une manière plus franche. Des assemblées tumultueuses, des banquets, des menaces, quelquefois même des pressions effectives qu’il désavoue, mais ne prévient ni ne réprime, lui permettent d’atteindre le but sans trop se compromettre. Ce sont là des armes fort dangereuses, car, une fois l’impulsion donnée, on a bien de la peine à contenir la multitude mise en mouvement, et le sort de presque toutes les révolutions est de se voir débordées par ces auxiliaires incommodes. Ici surtout éclate l’habileté du maître, qui sait user tour à tour d’audace, de fermeté, de faiblesse, de ruse ou de franchise, suivant que les circonstances l’exigent. Il faut que sa volonté paraisse toujours d’accord avec celle du peuple; c’est la condition .essentielle du succès. Pourvu qu’il la remplisse, peu importe le reste : des fautes qui pour d’autres seraient fatales passent inaperçues, la démagogie s’incarne en lui, et dès lors accepte la responsabilité de tous ses actes. Il peut sans scrupule faire bon marché des principes, se retourner, se démentir ou se rétracter avec l’aisance la plus dégagée; les contradictions ne l’embarrassent guère, et son autorité n’en est point compromise. Un pareil homme d’état offrirait vraiment le type du dictateur populaire, dont l’œuvre la plus difficile est de garder entre ses mains un pouvoir qui dépend des caprices de la foule inconstante et passionnée.

Cependant on s’étonne de voir le régime radical, après douze ans de règne, recourir encore à de tels moyens révolutionnaires. Cela paraît d’autant plus étrange que, soit lassitude, soit découragement, l’agitation politique tend chaque jour davantage à se calmer. C’est donc faire de l’anarchie mal à propos, et risquer de produire une réaction qui ne serait certainement pas favorable au radicalisme. En effet, des habitudes de liberté qui datent de trois cents ans ne peuvent être supprimées tout à coup. Si le pouvoir manque d’énergie, les citoyens y suppléeront; mais à coup sûr la violence ne triomphera pas : l’esprit républicain est encore trop vivace. Il réagira tôt ou tard contre la tendance radicale, qui poursuit à la fois deux buts également funestes pour les intérêts de la liberté. En effet, d’une part elle affaiblit l’autorité morale du gouvernement par son penchant à se mettre au-dessus de la loi, tandis que de l’autre elle incline de plus en plus vers le despotisme et l’arbitraire. Cette der-