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de mes voisins, je respectai, scrupuleusement le goût que les Haltingen montraient pour la retraite. Cependant, vers les premiers jours du mois de juin, une violente chaleur se fit sentir dans tout le pays de Vaud. Cette chaleur, qui me rappelait ma terre natale, ne me causait aucune impression pénible ; mais Catherine, dont la maison était très étroite, que la maladie et l’inaction ne disposaient pas à l’optimisme, n’en parlait point avec la même résignation. Je multipliai mes visites pour la consoler. Je rencontrais souvent ainsi Éléonora, qui aimait les pauvres et les malades, et qui leur prodiguait des soins véritablement fraternels.

Catherine, tout en parlant avec admiration de sa charité, s’étonnait de son silence, qu’elle paraissait attribuer à la hauteur. Cette supposition ne manquait pas de vraisemblance. Catherine était pleine de finesse, et n’oubliait jamais de dire avec une légère affectation « mademoiselle la baronne, » tandis qu’elle m’appelait souvent « madame » sans aucune espèce de remords. Elle avait remarqué, disait-elle, que les Allemands tiennent au cérémonial bien plus que les autres nations, et que les meilleurs n’ont aucun goût pour la familiarité. Il est vrai que la race germanique se distingue, parmi toutes celles qui habitent l’Europe, par ses instincts aristocratiques. Presque tous les Anglais sont libéraux ; beaucoup d’Allemands sont philosophes, mais ils conservent toujours un sentiment profondément enraciné de la hiérarchie sociale. Éléonora était de ce côté essentiellement Allemande. Je comprenais au léger froncement des sourcils fins et réguliers de Mlle de Haltingen que l’esprit démocratique des Gaulois et le sans-gêne de leurs façons lui causaient quelque surprise. Catherine, qui était fort prudente, n’allait jamais trop loin. Il n’en était pas de même de ses voisines, et surtout de leurs enfans, qui sautaient lestement sur les genoux de la fière jeune fille, s’emparaient de ses mains sans cérémonie, et lui adressaient une multitude de questions avec une turbulence comique. Mlle de Haltingen, dont la loyauté était presque excessive, ne cachait pas ses impressions. Quelques réflexions brèves, mais significatives, qu’elle murmurait en allemand, m’apprenaient ce qu’elle pensait des habitudes gallo-latines.

Si la familiarité des Vaudois n’était pas toujours de son goût, elle professait pour leur pays une admiration qu’elle me fit aisément partager. Comme elle était depuis plusieurs mois dans le canton, et qu’elle s’y était beaucoup promenée, elle devint pour moi, lorsqu’elle se fut de nouveau habituée à m’ouvrir son cœur, le plus intelligent des guides. Elle se plaisait surtout à visiter la terrasse de l’église. Nous ne suivions jamais le chemin destiné aux chars, qui va de Veytaux au village des Planches, plus connu sous le nom