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applaudi, parce qu’il ouvrait des écoles gratuites et que le peuple aime assez ce qui ne lui coûte rien; mais bientôt la réflexion est venue dissiper l’enthousiasme. Les parens ont compris qu’au lieu de l’égalité qu’on prétendait atteindre, l’unique résultat de cette mesure serait d’interdire les professions libérales à tous ceux qui ne possèdent pas une fortune suffisante pour envoyer leurs fils étudier hors du pays. Dès lors la réaction devint manifeste. Plusieurs sociétés de jeunes gens prêtèrent leurs salles pour des cours littéraires ou scientifiques. Les conférences religieuses, les séances d’histoire, les lectures instructives se multiplièrent, et partout l’affluence des auditeurs fut telle que le gouvernement ne tarda pas à s’apercevoir qu’il avait fait fausse route. Inquiet du parti que ses adversaires pouvaient tirer de son erreur, il changea de tactique, abandonna ses projets contre l’académie, maintint l’école de droit, dont la suppression était à peu près décidée, et résolut à son tour de faire donner des cours publics le soir dans une salle de l’hôtel de ville. Ainsi la tentative dirigée contre l’instruction supérieure aboutit au contraire à l’établissement d’une espèce de succursale, excellente pour populariser la culture des sciences et des lettres.

Un second fait non moins frappant que la réaction intellectuelle, c’est la réaction morale, c’est le réveil du protestantisme. Genève n’avait pas pu se garantir tout à fait des atteintes de l’indifférence religieuse propagée par le XVIIIe siècle. Elle était restée moins incrédule que ses voisins, mais sans arborer franchement non plus le drapeau de la foi. Le rigorisme calviniste, tombé en désuétude, n’avait plus l’appui du pouvoir civil, et l’autorité ecclésiastique trouvait peu d’écho dans l’opinion. La plupart des partisans de l’ancienne orthodoxie se ralliaient de préférence autour des petites communautés libres établies par le méthodisme anglais. C’était une nouvelle cause de divisions et de querelles. On peut dire qu’elle contribua presque autant que la politique à créer entre les citoyens des antipathies et des préventions déplorables. Le bouleversement révolutionnaire eut pour première conséquence de faire cesser de tels débats. Pour résister à la tempête, on mit de côté l’orgueil de secte, et, sauf de rares exceptions, le parti conservateur se trouva bientôt plus uni qu’il ne l’avait été depuis fort longtemps. Cette paix s’est consolidée davantage encore devant l’alliance des radicaux avec les ultramontains. Son caractère, d’abord essentiellement politique, a fini par être plutôt religieux. La nouvelle organisation de l’église protestante étant fondée sur le suffrage universel, sa cause devient celle du peuple. D’ailleurs jusqu’en 1815 protestantisme et nationalité se confondaient chez le Genevois dans un même sentiment, plus ou moins éclairé, mais très vif et très tenace, que