Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/606

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tique, toute tentative de rapprochement était inutile. Le radicalisme afficha très ouvertement l’intention d’escamoter à son profit le suffrage universel, ou de le fouler aux pieds toutes les fois qu’il ne lui serait pas favorable. Ses adversaires comprirent alors la nécessité de le combattre par d’autres moyens et d’opposer à l’influence du pouvoir gouvernemental celle des associations privées. C’est ainsi que, l’académie de Genève paraissant menacée, on s’empressa de jeter les bases d’un établissement rival destiné à la remplacer, s’il en était besoin. Des souscriptions volontaires soutinrent pendant plusieurs années un gymnase libre, où les jeunes gens pouvaient faire leurs études préparatoires pour le baccalauréat, soit ès-lettres. soit ès-sciences. La rapidité avec laquelle cette concurrence se forma et l’action qu’elle eut bientôt sur l’enseignement académique prouvent combien Genève est riche en ressources intellectuelles. Une fois cependant le but atteint, c’est-à-dire l’académie réorganisée de manière à dissiper toute inquiétude sur son existence, le gymnase libre se ferma volontairement, car l’opposition n’avait eu d’autre objet que d’assurer le maintien de cette antique et féconde institution nationale dont les Genevois peuvent être fiers à juste titre.

Le passé de l’académie de Genève donne une haute importance au mouvement qui avait pour but de la maintenir sous une forme nouvelle. Ce fut Calvin qui la fonda. Son puissant génie organisateur avait bien compris que là devait se trouver le moyen d’influence le plus sûr et le plus durable. Ayant surtout en vue les besoins de l’église réformée, il n’institua que quatre chaires : une de théologie, confiée à Théodore de Bèze; une d’hébreu, dont le titulaire devait consacrer quelques heures par semaine à l’exégèse de l’Ancien Testament; une de philosophie, qui se bornait aux élémens des sciences avec un peu de rhétorique et de dialectique; enfin une de belles-lettres, qui avait pour objet principal l’enseignement du grec. Après la mort de Calvin, et pour accomplir ses derniers vœux, Théodore de Bèze obtint la création d’une école de droit, sur laquelle deux Français distingués, Bonnefoy et Hotman, répandirent dès l’origine un certain éclat. Cette académie naissante ne tarda pas à se développer, grâce aux efforts de professeurs éminens qu’elle sut attirer, ou qui se formèrent dans son sein. Joseph Scaliger, Isaac Casaubon, Jacques Godefroy, J. Leclerc, Alphonse Turrettini, établirent sa renommée sur des bases solides, et durant le XVIIIe siècle l’essor de la philosophie et des sciences physiques y trouva de précieux auxiliaires dans les Charles Bonnet, les Cramer, les Prévost, les Pictet, les Jalabert, les de Saussure, etc. Le goût de l’étude fut comme une espèce de patrimoine qui se transmettait de père en fils dans les familles aristocratiques. On voyait souvent les plus hautes charges