nation. Celle-ci comprend que noblesse oblige, et que son devoir est de maintenir le développement intellectuel et moral qui fit la gloire de Genève. En présence du péril, le zèle s’est réveillé.
Dès 1847, l’opposition conservatrice débuta par user largement des ressources que mettait à sa disposition une entière liberté de la presse. Pendant cinq ou six années, la lutte politique fut très vive, et l’on vit paraître à côté des feuilles locales de nombreux pamphlets, dont plusieurs étaient assez remarquables. Pour les publicistes genevois, auxquels manquent en général les qualités de l’écrivain, la passion est un stimulant précieux. Dans l’ardeur de la polémique, ils s’abandonnent plus que de coutume, et montrent souvent une verve spirituelle et piquante. Il est malheureux que cette verve ne sache pas se contenir. Quand un sujet préoccupe l’attention publique, il n’est guère de classe de la société qui ne soit plus ou moins atteinte de la fièvre d’écrire. Ce n’est du reste point là un fait nouveau. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le chef des natifs, Isaac Cornuaud, simple ouvrier horloger d’abord, puis teneur de livres, publiait une brochure presque chaque jour. La collection de ses pamphlets forme cinq gros volumes in-8o, et de plus il a laissé dix volumes in-4o de manuscrits relatifs aux affaires de son temps. Les Genevois d’aujourd’hui ne le cèdent pas sous ce rapport à ceux du XVIIIe siècle, à en juger par le nombre des brochures, chansons et caricatures publiées surtout dans les années 1847, 1848 et 1849. Si la plupart valent mieux par le fond que par la forme, quelques-unes cependant ont un vrai mérite littéraire. On peut citer par exemple celles du docteur Baumgartner, ancien membre de l’association du 3 mars, qui, après la révolution de 1846, rompit avec le parti radical et se rangea bientôt parmi ses plus ardens adversaires. C’est un rude jouteur, dont la plume a le tranchant de l’acier. Il saisit corps à corps le chef du radicalisme, dévoilant ses faiblesses, et perçant à jour sa politique avec une impitoyable ironie. La passion, qui le domine souvent, éclate en saillies vraiment originales. Chez lui, pensée et style sont fortement empreints du cachet genevois, mais il y joint la vivacité de l’esprit français. Ses pamphlets, où le sarcasme et les personnalités abondent, obtinrent beaucoup de vogue, et contribuèrent à réveiller l’esprit national, en combattant les tendances cosmopolites qui semblaient vouloir faire de Genève le centre de la propagande révolutionnaire. Un autre écrivain non moins éminent, l’auteur anonyme des Épanchemens d’un homme d’état, eut l’idée fort ingénieuse de mettre en scène le dictateur lui-même, exposant à l’un de ses intimes les secrets de sa tactique. Il sut avec une rare sagacité jalonner en quelque sorte d’avance la route qu’allait suivre le radicalisme.