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religieuse qui se trouvait remplacée par le jeûne fédéral, célébré dans tous les cantons suisses, les protestans s’émurent de ce qu’ils regardaient comme une atteinte à leurs plus chères traditions. Le 7 septembre, la foule se porta vers les églises, entraînant avec elle les prédicateurs de son choix, exigea qu’elles lui fussent ouvertes, et fit célébrer le service malgré les ordres de l’autorité. Celle-ci, réduite à sévir le lendemain contre un désordre qu’elle n’avait pu empêcher, se contenta de faire interdire la chaire pendant six mois à l’un des pasteurs qu’on accusait d’avoir pris part au mouvement. Cette mesure, aussi malheureuse qu’insuffisante, frappait le membre le plus populaire du clergé protestant et décelait l’impuissance du conseil d’état, qui n’osait mettre en cause les véritables chefs de l’émeute. On semblait craindre d’approfondir les motifs de la sourde fermentation révélée par de tels symptômes.

Quelques mois plus tard, les difficultés qui survinrent entre la France et la Suisse (1838) au sujet du prince Louis-Napoléon contribuèrent encore à raffermir la sécurité trompeuse dans laquelle s’endormait le pouvoir. La seule apparence d’un danger extérieur avait suffi pour rallier tous les citoyens autour de leurs magistrats. En présence de ce réveil du sentiment national, comment croire à l’existence de passions politiques et de haines sociales? L’optimisme est le défaut des gouvernemens paternels ; on se persuada que tout allait pour le mieux, et que si les électeurs ne se présentaient plus au scrutin qu’en fort petite minorité, c’était précisément de leur part une marque de confiance absolue. Aussi les plaintes de l’opposition, loin de rencontrer un meilleur accueil, suscitèrent des débats plus orageux dans le sein des conseils. Ses vœux pour l’institution du jury et pour celle d’une municipalité urbaine furent tour à tour repoussés. A la suite de ces discussions, dans lesquelles d’imprudens orateurs allèrent jusqu’à dire qu’on avait déjà fait trop de concessions, une société politique se constitua dans l’intention d’assurer le triomphe de ce qu’on appela dès lors les intérêts du peuple. Cependant elle ne prit d’autre titre que celui d’association du 3 mars (jour de sa fondation), et parut bien décidée à se renfermer dans la voie légale ouverte aux réformes constitutionnelles; mais le programme s’élargit en raison du nombre des mécontens qui se groupaient autour d’elle. Bientôt ses adversaires purent dire avec assez de justesse qu’elle était l’hôpital des amours-propres blessés. Malheureusement les malades abondèrent dans cet hôpital à tel point qu’en peu de mois ils furent assez nombreux pour tenter ce qui s’appelle en Suisse un putsch, c’est-à-dire une pression sur les dépositaires du pouvoir et sur le corps législatif. Le 22 novembre 1841, la foule assaillit l’hôtel de ville en réclamant une constituante qu’on