consacrer quelque temps ses hautes facultés au service de la petite communauté genevoise. Avec des esprits de cette trempe, les discussions du corps législatif ne pouvaient qu’être fertiles en heureux résultats. Par l’autorité du talent, du savoir, de l’expérience, ainsi que par leur parole éloquente, ils stimulaient et modéraient tour à tour les efforts de l’opposition, qui longtemps n’eut pas d’échos en dehors des conseils. Les divergences portaient plutôt sur les principes, et dans la pratique on était généralement d’accord pour repousser les innovations précipitées. Cependant Genève, loin de rester en arrière, devança bientôt non-seulement ses confédérés, mais encore la plupart des autres états de l’Europe. Elle fut le premier pays du continent où s’introduisit l’institution bienfaisante des caisses d’épargne; elle établit un pénitencier modèle, promulgua une loi de procédure civile[1] admirée par tous les jurisconsultes, rendit à son académie l’ancien lustre qui l’avait distinguée, se préoccupa vivement des besoins de l’instruction, soit primaire, soit secondaire, et ne négligea pas non plus le développement matériel du pays. Des sociétés indépendantes du gouvernement contribuèrent aussi, durant cette période, à favoriser l’essor des arts et de l’industrie. Sous leur influence naquit une école genevoise de peinture; la ville s’enrichit d’un musée, don généreux de Mlle Rath, d’un conservatoire de musique fondé par M. François Bartholony, et la fabrique d’horlogerie put ajouter de nouveaux titres à sa vieille renommée. D’autres sociétés, obéissant aux inspirations d’une philanthropie éclairée, dotèrent Genève d’établissemens qu’on eût en vain cherchés dans toute autre ville de même grandeur.
Malheureusement la prospérité a ses écueils pour les peuples comme pour les individus. On s’endort dans la jouissance du bien-être; on s’habitue volontiers à croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Cette tendance, de plus en plus manifeste dans la classe dominante, peut être signalée comme la première source du mécontentement populaire qui rouvrit l’ère des révolutions pour Genève. D’autres causes, plutôt sociales que politiques, vinrent s’y joindre. Dans une république, on est facilement enclin à la jalousie. L’inégalité, chassée de la loi, se réfugie dans les habitudes sociales. A défaut de rangs bien marqués, il se forme des coteries plus fermées et plus exclusives encore. A Genève, la classe aristocratique se montrait divisée en maintes catégories, suivant l’ancienneté des familles ou le chiffre des fortunes, et la petite bourgeoisie ainsi que la classe ouvrière elle-même offraient autant de groupes non moins attentifs à ne pas se mélanger. Chacun
- ↑ Œuvre du savant professeur Bellot.