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darries, nous avons voulu montrer, au moins de profil, ces physionomies étranges, tout asiatiques, à demi sauvages, dont les types n’ont pas cessé d’exister dans l’Inde. Depuis deux ans, on les a vus reparaître aux mêmes lieux, dans l’Oude, dans le Malwa, dans l’Hindostan et dans les provinces mahrattes. Courbés sous le joug de l’Angleterre, qui semble s’être fort peu occupée de les moraliser, les Hindous, païens ou musulmans, ont baissé la tête, mais la civilisation ne les a pas transformés. Les cipayes qui ont déchiré les uniformes anglais sont devenus de vrais Pindarries. Leurs chefs, pour avoir été initiés à un certain degré aux usages européens, n’ont pas été moins prompts à retourner aux traditions de leurs races : ils se montrent fiers et cruels dans le succès, incapables de concerter un plan de campagne et habiles à prolonger la guerre de partisans, qui se compose de ruses et de surprises. Le plus tristement célèbre de tous, Nana-Sahib, a reçu une éducation soignée; il possède à fond la langue anglaise, et dans ses loisirs il avait traduit dans sa langue natale l’Hamlet de Shakspeare. Au premier cri de l’insurrection, ce studieux Hindou a jeté le masque. Il s’est levé, la rage dans le cœur, comme s’il eût eu à venger l’ombre de Claudius, et le vernis de civilisation qui couvrait son visage ayant disparu, il n’est resté qu’un Mahratte de la pire espèce, un brahmane du Konkan, poussé par une haine implacable.


V.

Le nom que nous venons de prononcer nous ramène aux événemens les plus significatifs de cette longue guerre dans laquelle l’Angleterre acheva, par une diplomatie habile, ce que ses armes avaient préparé. Nous voulons parler de la déposition du peshwa Badji-Rao, dont Nana-Sahib réclame aujourd’hui l’héritage à titre de fils adoptif. On se rappelle que Badji-Rao, vaincu par Holkar, avait fui vers Bombay, d’où les Anglais le ramenèrent triomphalement à Pounah. A peine réinstallé dans ses fonctions par une armée étrangère, le peshwa comprit que toute liberté d’action était perdue pour lui et que sa patrie était asservie. Le pavillon britannique flottant devant les murs de la capitale lui rappelait incessamment les traités qui le liaient sans qu’il pût espérer de les rompre. En vain cherchait-il autour de lui des alliés qui pussent lui venir en aide : les princes de la confédération mahratte étaient réduits à l’impuissance. En concluant avec les Anglais une alliance d’éternelle amitié, Badji-Rao avait virtuellement aboli l’empire fédératif du Maharachtra et reconnu l’existence indépendante des états de Holkar, de Sindyah,