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sous une petite tente, confiée à la garde de serviteurs dévoués. Son allié Amir-Khan, — qui profitait de la circonstance pour piller les trésors cachés dans le palais, — lui envoya un docteur musulman versé dans l’art de guérir, Dowlat-Rao-Sindyah dépêcha vers lui un brahmane habile dans la médecine ; mais les soins des deux empiriques furent infructueux. Cet homme extraordinaire, qui avait lutté seul contre les Anglais à la tête d’une armée de cent mille hommes, finit par tomber dans une imbécillité complète. On en vint à le nourrir avec du lait comme un enfant ; ce régime le soutint encore trois années. Enfin Djeswant mourut en octobre 1811, près de la ville de Bampoura, où sa famille lui a élevé un beau mausolée. Sir John Malcolm[1], qui visita ce monument quelques années plus tard, vit le cheval favori du terrible aventurier, mis à la retraite par la mort de son maître, brouter tranquillement l’herbe verte auprès de sa tombe. Ce cheval ne résumait-il pas toute la vie de ce dernier des Mahrattes, en qui s’était incarné le génie des batailles et des chevauchées guerrières ?


IV.

Nous arrivons au dénoûment du drame, à ce moment suprême où les principaux personnages vont disparaître de la scène, les uns par mort violente, les autres sans bruit, sans éclat, parce que leur rôle est achevé. À la différence de Djeswant-Rao-Holkar, jeté dans les aventures au début de sa carrière par des malheurs de famille, Dowlat-Rao-Sindyah avait hérité trop jeune d’un pouvoir incontesté. Ambitieux, fier de la prépondérance qu’il exerçait dans les conseils de la confédération mahratte, le mahârâdja ne montra point une énergie à la hauteur de ses projets. Il attira sur son pays les plus terribles calamités en contribuant beaucoup pour sa part à rompre les liens qui unissaient entre eux les chefs de l’empire mahratte. Son amour pour la fille de Shirzie-Rao-Ghatgay le rendit en quelque sorte esclave des caprices sanguinaires de cet homme féroce et insensé qui déshonora son règne. À deux reprises, Dowlat-Rao écarta de ses conseils cet odieux personnage, exécré des indigènes autant que des Européens, et dont les Anglais, par l’une des clauses de leur traité, avaient réclamé impérieusement l’expulsion. Plus tard, cette clause fut annulée ; Shirzie-Rao reprit sur son gendre un complet ascendant, et ce retour de faveur causa sa perte. À la

  1. Cet écrivain distingué, qui a pris une part aussi active qu’honorable aux événemens qu’il raconte, a peint de la manière la plus dramatique la carrière si remplie des chefs mahrattes, et en particulier celle de Djeswant-Rao. Il est impossible de joindre plus d’impartialité à un plus noble sentiment de la justice et de la morale.