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tude. Djeswant-Rao en tira un butin qui ne s’élevait pas à moins de 25 millions de francs[1]. Singulière façon de se procurer de l’argent pour repousser la domination étrangère! Quel était le plus odieux, du souverain qui livrait ses propres sujets à de pareilles spoliations, ou de celui qui volait effrontément, à main armée, comme un chef de brigands, les territoires de ses alliés? On conçoit que pour des populations aussi maltraitées, la suprématie d’une nation européenne ait pu être un bienfait. Il semble que, pour s’en faire aimer, il suffisait de les gouverner avec un peu de justice et de bienveillance. Comment se fait-il donc que ces mêmes peuples, les sujets de Holkar et de Sindyah, soient aux premiers rangs de l’insurrection qui, après un demi-siècle, a éclaté avec tant d’énergie contre la domination anglaise?

Enrichi par des déprédations sans cesse renouvelées, recherché par Dowlat-Rao-Sindyah, qui voyait en lui le dernier espoir de la cause mahratte, Djeswant-Rao-Holkar devenait fou d’orgueil. Il se croyait l’arbitre des destinées de l’Inde. Lorsque lord Lake entama avec lui des négociations qui ne devaient avoir aucun résultat, Djeswant-Rao écrivit de sa main, — il savait écrire le mahratte et le persan, — au général anglais chargé de pleins pouvoirs dans le Dekkan : « Des contrées de plusieurs centaines de lieues d’étendue seront envahies par moi. Lord Lake n’aura pas même un moment pour respirer, et des calamités tomberont sur des millions de créatures humaines par suite de la prolongation d’une guerre dans laquelle mon armée débordera de toutes parts comme les vagues de la mer[2] ! » C’était au général Wellesley, au futur duc de Wellington, que Djeswant-Rao adressait une pareille menace. Il y avait dans les paroles de l’aventurier mahratte autant d’exagération et de forfanterie que d’insolence. Cependant, lorsqu’après de premiers revers un avantage réel remporté sur une colonne anglaise imprudemment engagée lui permit de reprendre l’offensive, Djeswant-Rao-Holkar ne comptait pas moins de quatre-vingt-douze mille hommes réunis sous ses bannières. La cavalerie formait plus des deux tiers de cette grande armée, qui traînait à sa suite près de deux cents pièces de campagne.

Trois batailles avaient suffi pour ruiner la puissance de Sindyah ; il ne fallut que trois combats pour réduire de plus de moitié les armées de Holkar: Sous les murs de Dehli, qu’il essaya d’enlever d’assaut, Djeswant-Rao éprouva un premier revers. Quelques jours plus tard, son infanterie régulière, à laquelle il tenait comme à sa

  1. Voyez sir John Malcolm’s Memoirs on Central India.
  2. Sir John Malcolm’s Memoirs on Central India.