éblouis et comme fascinés par les éclairs de l’intarissable verve des Français. Adalbert parlait bien devant nous du peu de cas qu’il faisait des plaisanteries de son ami ; mais le marquis n’en exerçait pas moins une action chaque jour plus considérable sur ses idées et sur ses habitudes. À force de l’entendre parler avec une incroyable légèreté des femmes les plus dignes d’amour, à force de l’entendre dire que la plus belle et la meilleure ne méritait nullement ce dévouement chevaleresque préconisé par les romans du moyen âge, et qu’un grand seigneur devait se préoccuper bien autrement des exigences de sa position que de ses affections (il se servait, je crois, du mot fantaisies), Adalbert se sentait ébranlé. — Son expérience, disait le marquis avec affectation, lui avait appris que le bonheur de cette vie consistait, non point à se livrer aux aberrations de son imagination, mais à respecter toutes les convenances sociales, même celles dont la nécessité ne paraissait pas absolument démontrée. Il trouvait en faveur de sa théorie des raisonnemens philosophiques, raisonnemens absolument nécessaires pour convaincre un Allemand. — La société, ajoutait-il en prenant un air grave, assure à l’aristocratie de très grands privilèges, à la condition qu’elle saura au besoin sacrifier ses inclinations aux lois fondamentales de son existence. Or la plus essentielle de ces lois proscrit les mésalliances à tous les degrés, même celles qui peuvent se justifier par des motifs spécieux. Les devoirs d’un grand seigneur envers la classe dont il est un des chefs naturels sont trop impérieux pour qu’on ne les préfère pas à ces puériles satisfactions qu’on appelle « satisfactions de cœur. »
Lord Edward *** était peut-être le seul parmi les amis du prince Adalbert qui fût en état de combattre les théories qu’on reproduisait autour de lui sous toutes les formes. L’aristocratie anglaise, la plus fière des aristocraties, est aussi la plus chevaleresque et la plus susceptible de passions sincères et profondes. Elle a reçu des « rois de la mer » qui gouvernèrent l’Angleterre sous la dynastie danoise et plus tard des Normands un esprit de résolution et d’indépendance qu’on ne trouve jamais dans la nature allemande. Aussi un mariage d’inclination n’effraie point un pair d’Angleterre comme le descendant d’une grande famille française. Plus d’une fois le noble ami d’Adalbert me fit entendre que le jeune prince était peu digne d’une femme aussi heureusement douée qu’Éléonora, et que ses indécisions seules prouvaient combien étaient étranges les illusions dont on se berçait en fondant sur lui de si grandes espérances. Pour lord Edward, qui avait toute l’énergie anglo-saxonne, l’irrésolution était chez un homme le signe le moins équivoque d’un caractère essentiellement médiocre. Il était donc fermement convaincu que