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disette des idées, mais à un goût prononcé pour la méditation. Quelle plus belle tâche pour une âme chevaleresque que de rendre à cette nature abattue le sentiment de sa force ? Quelle entreprise plus digne d’un cœur sensible que de consoler cette noble intelligence des souffrances que lui avait imposées prématurément l’égoïsme paternel ? Ce rêve, qui avait d’abord flotté vaguement dans l’esprit d’Éléonora, prit chaque jour une forme plus précise, à mesure que le jeune prince se montrait plus empressé, il n’est peut-être pas très exact d’employer cette expression quand il s’agit d’un caractère comme celui d’Adalbert ; pour parler plus clairement, il faudrait dire que le prince, qui ne faisait rien pour plaire à aucune autre jeune fille, semblait ne s’épanouir un peu que dans la famille d’Éléonora, où il passait sa vie. Quoique Eléonora agît envers lui avec la plus grande réserve, il est toujours assez difficile, surtout à un certain âge, de ne pas laisser deviner ses sympathies. Adalbert s’était-il aperçu du secret penchant de la jeune fille ? Ou plutôt sentait-il instinctivement, comme les âmes faibles, la nécessité de s’appuyer sur un caractère inébranlable ? Il est probable que ces deux causes agissaient à la fois sur son cœur et le disposaient à voir dans Éléonora l’ange que la Providence destinait au bonheur de sa vie. Insensiblement il perdit avec elle quelque chose de son extrême timidité ; il commença à laisser entrevoir les mécomptes et les épreuves de sa jeunesse, à parler de ses projets d’avenir. Il avait appris, disait-il, en vivant avec son père, à comprendre la stérilité et la misère d’une politique égoïste et bornée. Si un jour la Providence l’appelait à succéder à Eberhard LVI, il se proposait de gouverner non en vassal de l’Autriche, mais en prince allemand, qui regarde comme un devoir de tenir haut et ferme le drapeau de la commune patrie. Il voulait, au lieu de contribuer à étouffer le génie scientifique de la Germanie, maintenir les droits imprescriptibles du libre examen, conquis par la réformation. L’exemple du grand-duc Charles-Auguste prouve, ajoutait-il, qu’un prince patriote peut opérer en Allemagne de véritables miracles sans avoir de vastes états. Adalbert disait encore que les femmes pouvaient contribuer efficacement à faire renaître les beaux jours du « printemps de l’Allemagne. » Il rappelait que la grande-duchesse Anne-Amélie avait, comme régente, préparé les merveilles du règne de Charles-Auguste. Il insinuait que, si par hasard il ne trouvait pas dans les familles régnantes une personne qui voulût où qui pût comprendre ses plans, il saurait, malgré toutes les résistances, la chercher dans les rangs respectés de la noblesse germanique. Lorsqu’on opposait à ses idées des objections plus ou moins fortes, il répétait fermement qu’il était autant que personne partisan de la