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avait reçu d’un artilleur dans une de ses charges réitérées. Dans la conversation, Djeswant-Rao se montra poli et ouvert, parlant légèrement de ses blessures et s’exprimant de la façon la plus amicale sur le compte du résident et du gouvernement britannique.

À ce moment décisif, Djeswant-Rao-Holkar était franc, lorsqu’il exprimait le désir de voir le résident, le colonel Close, intervenir en médiateur ; mais le peshwa Badji-Rao, peu rassuré par la modération apparente du vainqueur, quittait son premier asile pour en chercher un autre, plus éloigné de la capitale, dans la forteresse de Raïgarh. Il éprouvait une répugnance invincible à traiter avec Djeswant-Rao, et croyait avoir tout à redouter des rancunes de cet aventurier si bien servi par la fortune. Éloigné de tout secours, réduit à se cacher, il regrettait sans doute amèrement le supplice barbare qu’il avait infligé à Witto-Dji, frère du vainqueur devant lequel il fuyait en tremblant. Une dernière ressource restait au peshwa, gagner du temps et décourager Djeswant-Rao, en le laissant, avec ses troupes mal disciplinées, s’ennuyer sous les murs d’une capitale effrayée de la crainte du pillage. Il ne fit donc, pendant deux mois, aucune réponse aux demandes que lui adressait le vainqueur, lequel insistait toujours pour qu’on lui remît le jeune héritier de la famille Holkar.

Ces délais amenèrent le résultat le plus déplorable pour les habitans de la ville, qui furent indignement rançonnés. Djeswant-Rao souffrait du manque d’argent, il en fallait à ses troupes, qu’il avait d’abord empêchées de piller. De même que le peshwa avait placé des soldats à l’extrémité des rues afin d’arrêter au passage les gens de Pounah que la frayeur aurait poussés à la fuite, Djeswant-Rao fit ranger des troupes devant toutes les issues et cerner les maisons, pour dépouiller avec plus d’efficacité les familles les plus riches. Après avoir commis d’horribles exactions, le prince hardi dans le combat et modéré après la victoire, qui avait eu un faux air de héros pendant quelque jours, dut reprendre le chemin de l’Inde centrale avec ses bataillons d’élite et ses bandes irrégulières, traînant à sa suite un immense butin comme un chef de brigands ; mais le véritable fruit de son audacieuse campagne, couronnée d’un si complet succès, lui échappait toujours. Il n’avait point obtenu la reconnaissance formelle du titre de régent des états de Holkar, qu’il réclamait avec quelque raison. Le peshwa Badji-Rao semblait donc remporter le dernier avantage dans cette lutte acharnée, et peut-être eût-il fini par reconquérir la plénitude de son autorité, si sa pusillanimité ne l’avait conduit à se jeter dans les bras de l’Angleterre.


THEODORE PAVIE.