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ne pouvaient croire que Djeswant-Rao fût véritablement auprès du souverain, et se résignaient avec peine à abandonner le fruit de leur victoire. Quant aux Patans, ils lançaient leurs chevaux en avant pour recommencer le combat, ne tenant aucun compte de la sommation que leur adressait un prince fugitif sans autorité, sans argent et sans armée. À cette vue, Djeswant-Rao met pied à terre ; quelques soldats intrépides s’étant ralliés autour de lui, il fait diriger deux pièces de canon[1] contre l’ennemi, les pointe lui-même et y met le feu de sa propre main. Maltraités par cette décharge qui les atteignait de très près, Patans et Pindarries prirent la fuite en désordre, entraînant bien loin du champ de bataille où il avait triomphé quelques heures auparavant le ministre rebelle. Anand-Rao était sauvé par le sang-froid et l’audace de Djeswant-Holkar ; mais le bruit de cette victoire arriva aux oreilles de Dowlat-Sindyah, et le jeune souverain de Dhar fut sommé de chasser de ses états celui-là même qui venait de lui en assurer la possession. Les menaces de Sindyah ne pouvaient troubler Anand-Rao au point de le pousser à l’ingratitude ; il appartenait à une vieille race de kchattryas, à l’antique noblesse aryenne. Djeswant-Holkar, craignant d’attirer sur son généreux protecteur le poids des colères de Dowlat-Rao, se décida à se retirer. Il partit donc de Dhar avec une assez forte somme d’argent, 50,000 francs environ, une quinzaine de cavaliers bien montés et moins de cent cinquante soldats armés tant bien que mal, derniers débris de la petite troupe qui avait fui de Pounah après le meurtre de Molhar-Rao.

Telle était l’armée à l’aide de laquelle Djeswant-Rao allait tenter de détrôner le faible prince qui gouvernait les états de Holkar. Il affectait de revendiquer le pouvoir, non pas en son propre nom, — l’illégitimité de sa naissance rendait l’entreprise trop difficile, — mais au nom de l’enfant posthume de Molhar-Rao, que Dowlat-Sindyah tenait en captivité depuis sa naissance. Pour toute proclamation, il se déclara le serviteur du petit prince, son neveu, à peine âgé de deux ans[2]. Cachant son ambition sous ce titre modeste, il chercha à ranimer le courage de tous ceux qui gémissaient de voir l’héritage de Holkar passer aux mains de Kasi-Rao, devenu par son incapacité et par ses infirmités corporelles l’instrument docile des projets envahissans de Sindyah. Djeswant-Rao possédait toutes les qualités qui conviennent à un chef de partisans : le courage, l’activité et l’audace. Tombant à l’improviste sur un corps de cavaliers

  1. C’étaient deux pièces de canon qu’Anand-Rao avait perdues le matin même dans sa retraite précipitée. Voyez sir John Malcolm, Memoirs of Central India.
  2. Il se nommait Koundi-Rao ; le peshwa était de moitié avec Sindyah dans la séquestration de ce petit prince.