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parmi les brahmanes qui s’étaient déclarés les défenseurs de l’innocence opprimée ; mais il fallait, pour arracher les princesses veuves à la captivité qui les menaçait, un homme de cœur, un hardi champion. Cet homme se trouva : c’était Mouzaffir-Khan, officier patan, qui commandait un corps de cavaliers. Montant à cheval avec les siens, il fait diligence, atteint l’escorte, la disperse et délivre les bhaïes. Poursuivi à son tour par Shirzie-Ghatgay, le Patan court vers le camp du peshwa,et confie au général en chef Amrat-Rao, frère de ce dernier, le précieux dépôt qu’il veut soustraire aux hasards d’un combat. Revenant aussitôt sur ses pas, il attaque Shirzie-Rao et le force à reculer.

Cette fois encore, Badji-Rao, par son empressement à soutenir la cause des bhaïes et à encourager les brahmanes à la résistance, s’était attiré une grosse affaire. Furieux de sa défaite, Shirzie-Rao se rua avec l’impétuosité du tigre sur le camp du peshwa pour se venger. Ayant échoué de nouveau dans son projet d’enlever les princesses veuves, sa rage ne fit que s’accroître. Cet homme que l’on a qualifié de monstre à face humaine, et dont la mémoire est restée en exécration parmi les Mahrattes, ce forcené qui fouettait des femmes veuves et faisait attacher des brahmanes respectables sur des canons rougis au feu, se laissa emporter cette fois à commettre un attentat si énorme, qu’il faillit le conduire à sa perte. Les troupes commandées par Amrat-Rao, — celles qui protégeaient les bhaïes, — se trouvaient campées tout près de Pounah, sur le territoire réservé et presque sous les fenêtres du peshwa. Le jour où l’on célèbre la commémoration de la mort de Houssein, — solennité particulière aux chyites[1] et à laquelle prenaient part les musulmans de cette secte, nombreux parmi les soldats du peshwa, — Shirzie-Rao, campé sur une hauteur voisine, ouvrit subitement le feu d’une grosse batterie d’artillerie contre ces mêmes soldats désarmés et occupés à suivre tous les détails de la cérémonie religieuse. Les malheureux que la mitraille décimait n’avaient pas eu le temps de se rallier, ils couraient aux armes en tumulte et dans le plus complet désordre, lorsque Shirzie-Rao, pour achever son œuvre de destruction et de vengeance, lança sur eux ses bataillons d’infanterie. En un instant, la déroute fut générale ; les bhaïes échappèrent au massacre, mais les bataillons de Sindyah pillèrent le camp[2].

  1. Houssein, fils d’Ali et de Fatima, fille de Mahomet, fut mis à mort près de Bagdad par Yesid, fils de Mouviah, qui s’était fait proclamer calife. Les chyites ou hérétiques sont ceux qui, par opposition aux sunnites ou orthodoxes, n’ont pas reconnu la légitimité des califes ; ils n’admettent pour héritiers directs du prophète que les descendans d’Ali.
  2. M. Grant Duff, qui raconte ces événemenss d’après des documens authentiques, assure que Shirzie-Rao fut assisté dans ce massacre par l’officier français Drugeon, alors au service de Sindyah. Ce fait prouverait quel triste rôle s’exposent quelquefois à jouer les Européens qui servent sous la bannière des princes asiatiques.