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premiers temps de la colonisation californienne. Chaque fois, disait-on, la ville était détruite, puis au courrier suivant les choses avaient repris leur cours ordinaire, si bien que dans le récit de ces désastres incessamment renouvelés, dans cette ville toujours brûlée et toujours debout, le lecteur pouvait être tenté de voir une série monotone de ces puffs transatlantiques auxquels nous ont habitués les Américains. Rien pourtant n’était plus exact, et San-Francisco n’a été que trop fondé à prendre pour emblème le glorieux phénix que son sceau nous montre s’élevant, les ailés déployées, du sein d’un bûcher enflammé. On va voir comment cet admirable esprit d’association pratique permet désormais aux habitans de braver le fléau destructeur, et l’on verra aussi avec quelle indomptable énergie, avec quelle puissance de volonté ils ont su chaque fois faire renaître d’un monceau de cendres une nouvelle ville plus belle que la précédente. Le récit de ces épreuves, terribles entre toutes, doit terminer l’esquisse des commencemens de San-Francisco.

Nous avons décrit l’assemblage confus de tentes et de baraques sous lesquelles au début s’abritait pêle-mêle une masse d’émigrans chaque jour croissante. Bien que de légères planches de sapin et des toiles peintes en eussent fourni tous les matériaux, la population désordonnée de ce campement se souciait peu de la sévère surveillance qui eût été nécessaire, et l’on pouvait d’un jour à l’autre s’attendre à voir la ville devenir la proie des flammes. Ce fut le 24 décembre 1849 que le premier des grands incendies se déclara au point du jour. En quelques heures, une masse de maisons et de marchandises évaluées à plus de 6 millions de francs fut complètement détruite, et l’on ne parvint à arrêter les ravages qu’en faisant sauter, au moyen de poudre à canon, les édifices voisins, afin de séparer la part du feu ; c’était le seul mode de défense que l’on possédât contre le redoutable ennemi qui entamait la lutte avec une si écrasante supériorité. Du reste, la journée n’était pas finie que les mesures étaient prises pour la reconstruction, et en quelques semaines toutes traces de dégâts avaient disparu. Néanmoins cette première leçon fut perdue pour l’insouciant Californien, qui édifia ses nouvelles demeures avec des matériaux non moins légers que par le passé. Aussi, lorsque quatre mois après, le 4 mai 1850, les funèbres lueurs de l’incendie éclatèrent de nouveau, la ville offrait aux flammes un aliment que peu d’heures devaient suffire à dévorer. Cette fois la perte fut plus considérable, et s’éleva à 20 millions de francs, parce que dès le début du feu la foule des spectateurs refusa d’aider à combattre le fléau avant qu’on n’eût fixé the rate of compensation, c’est-à-dire le prix auquel serait payé son concours ; on convint de 3 dollars par heure (près de 16 francs). Six semaines s’étaient à