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nominaux ; certaines marchandises ne valurent pas les frais d’emmagasinement ; d’autres étaient abandonnées faute d’acheteurs ; le tabac par exemple était devenu si abondant qu’on envoyait des caisses pleines servir à combler les fondations des maisons construites sur pilotis. De telles dépréciations devaient nécessairement produire une perturbation considérable dans les fortunes, mais la masse de la population y gagna, et, dans cette difficile période de débuts, on conçoit de quel secours inespéré lui fut une semblable quantité d’approvisionnemens à vil prix. Ajoutons que le commerce de la ville avait pris assez de forces pour que la plupart des grandes maisons pussent supporter cette première crise sans fléchir. On comptait alors dix-neuf banques, à San-Francisco, assez importantes pour que les opérations de l’une d’elles, tant par son comptoir principal que par ses succursales, s’élevassent en une seule année à 424 millions. Plus tard, il est vrai, d’autres épreuves se succédèrent, dont les effets furent plus désastreux, entre autres la grande crise de 1855, amenée surtout par l’excessif développement que les Américains donnent si volontiers au crédit. Cette fois nombre de maisons, même de premier ordre, tombèrent en faillite, et cela bien que l’une d’elles, dans une panique survenue quelques mois auparavant, eût pu en une seule journée payer à l’improviste l’énorme somme de 2,200,000 francs.

N’oublions pas de signaler ici un phénomène assez bizarre, qui, indépendamment de la propension de l’Américain à outrer les limites de son crédit, ne contribuait pas peu à entretenir les alternatives incessantes de ce jeu de bascule financière : je veux parler de l’intérêt tout à la fois exagéré et variable de l’argent. Dans ce pays, dont la prospérité avait pour source une immense production métallique, l’abondance du numéraire semblait une conséquence naturelle de cette prospérité. Ce fait n’eût-il pas été établi par les prix élevés dont nous avons fait mention, qu’il eût suffi, pour en être convaincu, d’un instant de conversation avec un habitant de la ville. Toute dépense inférieure à un dollar était traitée avec la plus suprême indifférence ; cette somme était pour ainsi dire, devenue l’unité de compte, et l’on en entendait parler comme chez nous on eût fait de francs. La monnaie de cuivre était inconnue, et la menue monnaie d’argent si peu importante, que l’on confondait dans une valeur commune notre franc, le shilling anglais, le quart de dollar américain et les doubles réaux espagnols. La différence de l’un à l’autre, parfois de 30 pour 100, était considérée comme insignifiante, et cela parce que c’était la dernière subdivision monétaire à laquelle on daignât descendre. Pourtant cet argent, si abondant, se louait au monstrueux intérêt de 8, 10, et même souvent