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qui mènent d’emblée leur homme à l’Académie. Le style dont il revêt ses pensées est un des plus beaux et peut-être un des plus parfaits de notre temps. Il est possible d’écrire d’une manière plus originale, il est impossible de mieux écrire. Il y a de l’effort quelquefois dans ce style, il n’y a jamais de faiblesse ; s’il n’est presque jamais familier, en revanche il n’est jamais trivial. Ses écrits sont un modèle de style soutenu, comme on dit dans l’école. Personne depuis Chateaubriand n’a donné à la phrase plus de sonorité, aux mots plus de noblesse, aux images plus d’éclat et de couleur, et ce ne sont là que les qualités grammaticales, techniques, de ce style, sur lequel la préoccupation habituelle des grandes choses, la guerre, la religion, la nature, a laissé sa forte empreinte. Ce langage ample et mâle a quelque chose de sacerdotal et de guerrier à la fois ; tantôt il est vibrant comme le clairon des batailles, tantôt sonore comme les voûtes d’un temple sous la grande voix de l’orgue. Jusqu’à la publication de ce dernier livre, j’ignorais et j’aurais volontiers douté que M. Quinet pût parler avec grâce des petites choses ; mais tout le monde sait depuis longtemps avec quelle élévation il sait parler des grandes choses. Ses pensées ont pu être quelquefois incertaines et nuageuses, ses sentimens ont toujours été fermes et nobles. On lui a parfois reproché ses opinions démocratiques ; plût à Dieu que toutes les opinions démocratiques de notre temps ressemblassent aux siennes ! L’idée de démocratie s’unit chez M. Quinet non à de vulgaires appétits, mais à tout ce qui est digne d’être aimé, au patriotisme, à l’amour de l’humanité, à la liberté de l’âme, à la souveraineté individuelle, à la moralité du foyer domestique. Il avait rêvé pour la démocratie la couronne de tous les héroïsmes et de toutes les grandeurs. Il est possible que ce ne soit qu’un rêve ; n’importe, il est beau de l’avoir fait. Quant à son anticatholicisme, ce n’est pas à moi qu’il appartient de l’absoudre ou de le condamner.

« Le monde ne m’a point souri, » dit M. Quinet ; le sort ne lui a pas souri davantage. Cette belle et noble intelligence pense maintenant loin de cette société française dont elle fut un des ornemens. Qu’il se console cependant : si ceux qui sont partis sont tristes, ceux qui sont restés ne sont pas toujours gais. Qu’il reçoive donc ces pages comme le témoignage de sympathie de quelqu’un qui a ressenti comme lui les tristesses de notre temps !


EMILE MONTEGUT.