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je ne pusse atteindre aux sentimens et même quelquefois aux idées dont il est rempli, mais ce sont les mots eux-mêmes qui me manquaient. Le dictionnaire de la langue de la liberté n’existait pas pour moi. Quoique l’on fût alors si peu éloigné du temps de la révolution, l’idiome en avait été perdu. Au moins ne se transmettait-il pas à ceux qui comme moi n’avaient pas été contemporains des événemens… C’était là pour moi une langue morte qui ne m’était pas moins étrangère que le grec ou le latin. Nous n’avions pas songé à cette difficulté : elle se trouva insurmontable, et cela me donne à penser que grâce aux interruptions fréquentes de la liberté en France, chaque génération est comme moi obligée d’en rapprendre la langue, péniblement et dans les livres, non dans la conversation. » Et voilà pourquoi la langue de la liberté n’a jamais été en France qu’une logomachie scolastique, au lieu d’être une langue vivante.

Parmi les écrivains contemporains, personne plus que M. Quinet n’a ressenti la blessure mortelle que la France reçut de la double invasion. Cette impression douloureuse a fait, pendant de longues années, le principe de toute sa politique, et l’a rendu souvent injuste et amer envers les gouvernemens qui ont succédé à l’empire. Volontiers il les aurait rendus responsables de la pénible situation que l’Europe coalisée avait faite à la France et de la déchéance fatale à laquelle l’avait conduite l’emploi exagéré de ses forces sous une main puissante. Faut-il l’en accuser ? Quel est l’homme de ce temps qui n’ait point reçu cette blessure et qui n’ait pas fait tomber sa colère sur ceux qui après tout n’en pouvaient mais ? Était-ce l’idée de la liberté, ou le souvenir de l’indépendance nationale foulée aux pieds, qui inspira le libéralisme de la restauration ? Combien sont nombreux les contemporains pour qui la révolution de juillet ne fut qu’une revanche de Waterloo, et qui virent dans la chute du trône non un progrès des libertés publiques, mais un soufflet de la France aux vieux gouvernemens de l’Europe ! On retrouvera, vibrant encore, dans le récit de M. Quinet, le frémissement de l’âme française à cette époque, et cette morne tristesse qui s’est traduite dans les plus beaux chants de Béranger. Cette tristesse n’est pas évanouie, elle s’est établie à demeure dans l’âme de la France. L’invasion emporta avec elle bien plus encore que l’empire, elle emporta le vieux caractère national. « Depuis ce moment, dit excellemment M. Quinet, on a cessé en France d’avoir la vie légère. Auparavant, même dans le plus grand péril, on gardait une certaine sérénité. Elle s’est perdue et ne se retrouvera pas. » Oui, et tant mieux qu’elle soit perdue, si la France arrive à comprendre que les qualités sérieuses sont plus précieuses que les qualités aimables, si elle regagne en vertus pratiques, austères, opiniâtres, ce qu’elle a perdu en légèreté, en grâce, en facilité communicative. Si le souhait