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littéraire. Être débarrassé à la fois de la littérature académique et de la littérature romanesque vulgaire, quel double soulagement pour l’esprit humain, et quel double triomphe pour l’âme, la nature et la poésie !

L’autobiographie de M. Quinet est aussi amusante et beaucoup plus instructive qu’un roman. À chaque instant, le récit sollicite la pensée et force à réfléchir sur la fatalité des circonstances, sur l’influence de l’imitation, sur les conditions d’une bonne éducation. Par exemple, est-il indifférent pour l’éducation de l’âme et du caractère d’appartenir à une famille d’origine ancienne ? Oui, répond l’orgueil des parvenus modernes ; non, répond la conscience morale : il vaut mieux être le descendant d’une longue lignée de mendians que d’être le rejeton d’un millionnaire sans ancêtres. C’est à juste titre qu’un moderne paysan franc-comtois, célèbre par la vigueur de ses paradoxes, s’est vanté, dans un de ses livres, d’avoir quatorze quartiers de paysannerie. Songez à toutes les influences combinées, à toutes les traditions, à toutes les singularités d’humeur et de tempérament qui viennent se déverser dans la jeune âme assez heureuse pour avoir quatorze quartiers de roture ou quatorze quartiers de paysannerie. Songez à tous les contrastes que présente une vieille famille, aux remarquables déchiremens qui s’y produisent, lorsque la force de la tradition et la force de l’innovation s’y trouvent aux prises, à la vigueur de ses opinions séculaires, à la poésie de ses préjugés. Et puis quelle admirable école de respect ! Entre deux hommes de génie également bien doués par la nature, il sera toujours facile de distinguer celui qui est issu d’une ancienne famille ; ce sera infailliblement celui qui pensera le plus aisément avec noblesse. Nous aurions deviné, si nous ne l’avions su et s’il ne nous l’apprenait lui-même, que M. Quinet appartenait à une vieille famille bourgeoise. Les origines de cette famille remontent au XVIe siècle ; M. Quinet a donc plus de quartiers que n’en pourraient montrer beaucoup de gentilshommes modernes et d’héritiers de majorats. À l’époque où il vint au monde (1803), la famille présentait ces contrastes hardis naturels aux races qui ont eu une longue existence et aux âmes qui ont beaucoup vécu. La discipline austère et même oppressive de la tradition, les aspirations violentes de la révolution, les touchans radotages des inutiles regrets, l’ignorante candeur des âmes catholiques soumises à une religion d’habitude et de pratique, la dignité sérieuse des âmes protestantes soumises à une religion raisonnée, s’y trouvaient également représentés par des types d’une originalité marquée et d’une expressive physionomie. La vieille grand’mère hautaine, dure, aristocratique, personnifiait admirablement la discipline tyrannique de la tradition. C’est une figure de l’ancien régime que cette aïeule despotique,