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de choses qu’il faut unir, pour l’ordre et la liberté par exemple, pour le droit et le fait, pour la justice et l’amour, la variation entre des limites fût la loi de ce monde ? La variation est la condition du progrès. L’unité absolue et immobile n’est point évidemment la nature des choses, et prétendre la réaliser, c’est entreprendre de réformer la création.

En généralisant ainsi, nous ne faisons que traduire en une seule idée l’état général des âmes et des croyances des pays où, comme en Angleterre et encore plus en Amérique, la grande diversité des sectes est une chose admise, non moins admise que la domination de la religion chrétienne. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas cet état de choses, il existe, et s’il existe, il faut en donner le sens.

Nous voudrions que l’ouvrage remarquable de M. Greg donnât des conclusions plus conformes à cette opinion, qui, nous le croyons, n’est pas éloignée d’être la sienne. Sur des sujets si délicats, ce n’est qu’avec timidité qu’on peut hasarder sa pensée ; nous lui soumettons la nôtre, et si quelqu’un s’étonne de la liberté avec laquelle nous avons exprimé des idées qui sont loin d’avoir cours parmi nous, nous prierons de remarquer que nous nous sommes la plupart du temps borné à raconter. Que croit-on, que pense-t-on, que dit-on en Angleterre ? Nous avons cherché à le savoir, et nous le répétons. Voulant retracer une partie des opinions et des controverses qui occupent un peuple renommé après tout par ses mœurs et ses croyances, par ses sentimens religieux et politiques, il a bien fallu nous placer par hypothèse dans le même milieu que lui, emprunter ses idées et son langage, ne pas trouver scandaleux ce qui nous était nouveau, impossible ce qui était réel, et entrer dans l’esprit que nous essayions de faire connaître. D’ailleurs c’est à d’autres que nous qu’il appartiendrait de plaindre l’Angleterre.


V

Nous venons de toucher à quelques-uns des points extrêmes où la réflexion et la critique, enhardies par le principe du jugement individuel, peuvent conduire des hommes sincères et distingués qui cependant ne se sont nullement proposé de rompre avec le christianisme. Quelques-uns ont bien pu dériver jusqu’à la pure philosophie ; mais ce n’est point à nous de leur en faire un crime. Sous ce rapport, les intentions et les sentimens nous paraissent beaucoup plus importans que les doctrines, et ici, aux sentimens comme aux intentions, nous ne pouvons rendre que l’hommage le plus sincère ; mais, comme nous ne sommes pas de ceux, on se le rappellera peut-être, qui prétendent que la réformation, au lieu de