Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
349
ELLE ET LUI.

vons sans l’expliquer : ce ne serait pas possible, certains caractères échappent à l’analyse logique.

La réponse de Thérèse le fit trembler comme un enfant. Jamais elle ne lui avait écrit sur ce ton. Était-ce son congé motivé qu’elle lui ordonnait de venir chercher ? était-ce à un rendez-vous d’amour qu’elle l’appelait ? Ces trois mots secs ou brûlans avaient-ils été dictés par l’indignation ou par le délire ?

M. Palmer arriva, et Laurent dut, tout agité et tout préoccupé, commencer son portrait. Il s’était promis de l’interroger avec une habileté consommée, et de lui arracher tous les secrets de Thérèse. Il ne trouva pas un mot pour entrer en matière, et comme l’Américain posait en conscience, immobile et muet comme une statue, la séance se passa presque sans desserrer les lèvres de part ni d’autre.

Laurent put donc se calmer assez pour étudier la physionomie placide et pure de cet étranger. Il était d’une beauté accomplie, ce qui, au premier abord, lui donnait l’air inanimé propre aux figures régulières. En l’examinant mieux, on découvrait de la finesse dans son sourire et du feu dans son regard. En même temps que Laurent faisait ces observations, il étudiait l’âge de son modèle. — Je vous demande pardon, lui dit-il tout à coup, mais je voudrais et je dois savoir si vous êtes un jeune homme un peu fatigué ou un homme mûr extraordinairement conservé. J’ai beau vous regarder, je ne comprends pas bien ce que je vois.

— J’ai quarante ans, répondit simplement M. Palmer.

— Salut ! reprit Laurent, vous avez donc une fière santé ?

— Excellente ! dit Palmer, et il reprit sa pose aisée et son tranquille sourire.

C’est la figure d’un amant heureux, se disait l’artiste, ou celle d’un homme qui n’a jamais aimé que le roastbeef.

Il ne put résister au désir de lui dire encore : — Alors vous avez connu Mlle  Jacques toute jeune ?

— Elle avait quinze ans quand je l’ai vue pour la première fois.

Laurent ne se sentit pas le courage de demander en quelle année. Il lui semblait qu’en parlant de Thérèse, le rouge lui montait au visage. Que lui importait au fond l’âge de Thérèse ? C’est son histoire qu’il aurait voulu apprendre. Thérèse ne paraissait pas avoir trente ans. Palmer pouvait n’avoir été pour elle autrefois qu’un ami. Et puis il avait la voix forte et la prononciation vibrante. Si c’eût été à lui que Thérèse se fût adressée en disant : Je n’aime plus que vous, il aurait fait une réponse quelconque que Laurent eût entendue.

Enfin le soir arriva, et l’artiste, qui n’avait pas coutume d’être exact, arriva avant l’heure où Thérèse le recevait habituellement. Il la trouva dans son jardin, inoccupée contre sa coutume, et mar-