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ou si l’on n’est point tenté comme Mahomet du rôle de fondateur de religion, on doit accepter la révélation que l’on trouve acceptée dans son pays, la révélation et le révélateur. On a vu plus haut que cette adhésion peut n’être pas un simple acquiescement à une convention sociale. Non, nous avons indiqué comment et par quelle suite d’idées la naissance d’une religion déterminée pouvait être tenue pour providentielle. Ce qui est providentiel est divin apparemment ; ce qui est providentiel et divin, on l’appellera, si l’on veut, surnaturel, et ainsi nous nous approchons de plus en plus de l’ordre miraculeux. Ce sont ici de ces questions éternellement livrées à la méditation de la foi et de la raison, et que tous les efforts des églises n’empêcheront jamais, depuis que le bras de l’inquisition est brisé, les esprits les plus faits pour la piété d’examiner incessamment, et de résoudre par des solutions diversement chrétiennes, car il est impossible de ne pas croire, comme tout le monde, Milton chrétien aussi bien que Dante, et Grotius autant que Bellarmin. Une large carrière reste donc ouverte à l’examen, à la réflexion, au progrès, pourvu que la force n’intervienne pas, pourvu que le schisme, ainsi que le pouvoir, respecte la liberté de toutes les consciences. Cependant, en se plaçant dans l’ordre d’idées que nous avons indiqué, on conçoit comment toutes les diversités, toutes les variations peuvent s’accorder avec la reconnaissance unanime de ce point fondamental : la religion est la religion chrétienne, et le Christ en est le révélateur. C’est de ce christianisme raisonnable, c’est de cette liberté franche, mais qui se limite elle-même, c’est de cet ordre enfin, si comparable en religion à ce qu’est en Angleterre l’ordre politique, que Locke donnait en termes théologiques la sage formule, lorsqu’il disait : « La foi qui sauve consiste à croire seulement que Jésus de Nazareth est le Messie. » Qu’on y réfléchisse, les termes sainement entendus, que de foi et de liberté peuvent encore s’abriter sous la protection de cette idée !

Nous permettra-t-on une comparaison que peut-être l’exemple de l’Écriture ennoblit ? La religion naturelle est la source limpide qui, formée par les eaux du ciel, jaillit du rocher dans la plaine et va désaltérer les troupeaux et les bergers. La révélation est le vin nouveau que le maître de la vigne veut verser dans les vaisseaux neufs, et qui sera comme le sang de la nouvelle alliance. Mêler l’eau et le vin, c’est unir la raison et la foi. Il manque quelque chose à celui que l’eau seule abreuve. Est-on bien certain que le vin tout pur soit sans danger ? On se divise sur les proportions du mélange ; mais tout le monde en fait un, et l’humanité n’a point trouvé de règle universelle. Ne se pourrait-il pas qu’il fût vain d’en chercher une sur la terre, et que, pour l’eau et le vin spirituels comme pour tant