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l’obéissance. Dans cette période de transition, l’armée française, tiraillée devant l’ennemi entre trois écoles stratégiques également exclusives, semblait prédestinée à des désastres certains. Afin de rétablir la discipline par l’autorité d’un prince du sang, le comte de Clermont dut passer de l’administration d’une abbaye au commandement en chef de l’armée. Le nouveau général joignait à la bravoure et aux mœurs d’un homme de guerre l’inexpérience militaire d’un homme d’église ; aussi ne parut-il à la tête des troupes que pour y donner des ordres confus, qui furent ou méprisés ou mal compris, et pour couronner sa triste carrière par le malheur de Crefeld. Cette fois, ce ne fut plus une débandade comme à Rosbach, épreuves soudaines à l’abri desquelles ne sont pas toujours les armées les plus aguerries ; ce fut une bataille savamment livrée et méthodiquement perdue. Les suites furent aussi graves que l’événement l’avait été lui-même, car les généraux de Frédéric, ayant repris le cours du Rhin et une partie des Pays-Bas autrichiens, purent pousser des reconnaissances jusqu’à Bruxelles.

Cependant la paix, en devenant chaque jour plus nécessaire à la France, devenait plus difficile à raison même des pertes qu’elle essuyait sur tous les champs de bataille. Ses escadres ne se montraient sur les mers que pour y être capturées, et malgré l’audacieux génie de Dupleix dans l’Inde, l’héroïsme de Montcalm et de Vaudreuil au Canada, la Providence avait décidé en faveur de sa rivale la question d’avenir depuis si longtemps posée dans les deux mondes. Mais Mme de Pompadour, qui avait vu le roi de Prusse grandir autant par ses défaites que par ses victoires, s’exaltait de plus en plus dans son duel prolongé contre un héros, entendant se montrer, comme lui, supérieure aux coups du sort. Toutes les instances de Bernis avaient échoué contre ce parti-pris de renommée et cette fantaisie d’un grand rôle. Lors donc que la favorite eut découvert qu’il soumettait directement au roi les avis repoussés par elle-même et qu’il nouait des négociations pacifiques dans toutes les cours[1], elle rendit au cardinal l’immense service de le chasser. En novembre 1758, le comte de Stainville, bientôt après duc de Choiseul, recueillit la succession de Bernis, et Mme de Pompadour ne tarda pas à devenir l’instrument de celui qu’elle croyait sa créature.

  1. La preuve des négociations pacifiques ouvertes par Bernis depuis le commencement de la guerre de sept ans et de la secrète opposition de ce ministre au traité signé par lui-même est résultée en Angleterre des travaux historiques de lord Manon, en Allemagne des publications faites d’après les archives de Berlin, de Vienne et de Dresde. Ainsi se sont trouvées de point en point confirmées toutes les assertions de Duclos dans son mémoire sur la guerre de 1756, travail inspiré ou plutôt dicté à cet écrivain parle cardinal son ami.