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l’esprit du gouvernement de Louis XIV ; mais la révolution française approchait, et c’était à une initiatrice d’une condition différente qu’il appartenait de lui frayer les voies.

Louis XV, qui avait versé, lors de la mort de Mme de Vintimille, la seconde des quatre sœurs, les seules larmes qu’il ait jamais données à l’amour, n’en eut point pour la femme qui du moins avait eu le mérite de le rendre à ses devoirs envers la France. Quant à la nation, alors fière de son roi, elle respirait, délivrée des appréhensions si naturelles au début de la campagne. Le roi de Prusse en effet, plus alarmé de nos périls que nous ne semblions d’abord l’être nous-mêmes, avait compris que s’il n’arrêtait court l’invasion de l’Alsace, cette province et la Lorraine, arrachées à la France par Marie-Thérèse, pouvaient, à son grand détriment, rentrer bientôt sous la domination impériale. Avec la promptitude de résolution qui fut le caractère propre de son génie, il rentra à l’instant dans la lutte, et une diversion inattendue de cent mille Prussiens en Bohême et en Moravie vint sauver l’intégrité de notre territoire, permettant à Louis XV de jouir avec sécurité de l’enthousiasme populaire, justifié par ses premiers succès en Flandre.

Malgré la continuation de la guerre, et quoique le prince de Conti eût récemment abandonné l’Italie après une retraite désastreuse, tout respirait donc la confiance et le plaisir à la cour et à la ville dans l’hiver de 1744 à 1745. Paris lisait le Sopha de Crébillon fils, applaudissait Mérope, s’indignait contre la censure théâtrale qui avait interdit la représentation de Mahomet, ou s’amusait des coquetteries de Voltaire et de Benoît XIV. À Versailles, le roi avait repris le cours de ses chasses et des petits soupers où, sous les excitations d’une conversation libre et d’une chère exquise, il sentait fondre pour quelques heures les glaces de son esprit et de son âme. Une affaire réputée plus grave que la guerre avec la moitié de l’Europe occupait alors ce petit monde à part, tellement accoutumé à vivre des bontés du prince, qu’il croyait tout licite et honorable pour les obtenir. Il s’agissait de remplacer la duchesse de Châteauroux dans une position trop convoitée pour demeurer longtemps vacante. Tout atteste que l’interrègne fut court ; mais, à dire vrai, les investigations les plus scrupuleuses de la chronique, et l’on sait si elles nous ont manqué, n’ont point encore écarté les nuages dont sont couverts les premiers rapports du roi avec Mme d’Étioles, et l’on ignore le nom des agens qui conçurent l’audacieuse pensée d’établir à la cour la fille d’un ancien commis aux vivres et de la maîtresse affichée d’un fermier-général. Les fugitives apparitions de cette jeune femme au milieu des chasses royales dans un phaéton d’or et d’azur, ses agaceries sous le masque au bal de l’Hôtel-de-Ville donné pour le mariage du dauphin, son mouchoir résonnent jeté et relevé