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dans la Manche. Quand on songe à la lutte, il n’est rien de plus imprudent que de ne pas mesurer les armes de ses adversaires.

Nous limiterons aux rivages de la Manche une comparaison qui pourrait s’étendre à toutes les forces navales de la France et de l’Angleterre : Portsmouth est la métropole militaire de la côte septentrionale de cette mer comme Cherbourg est celle de la côte méridionale. Il est plus glorieux d’avoir construit l’un ; il est plus profitable de posséder l’autre. L’un ne vaut que par les efforts de l’art ; l’autre est comblé des dons de la nature. Le régime des marées, les habitudes des vents, la profondeur de la mer, l’ampleur des attenances, toutes les causes de supériorité auxquelles il est hors de la puissance de l’homme de trouver des compensations sont réunies à Portsmouth. Les oscillations des marées y sont beaucoup moins fortes, la durée de la mer pleine y est plus longue que chez nous ; les vents du nord, qui s’animent en traversant le canal et poussent des vagues furieuses contre les côtes de Normandie, sont toujours maniables sur celles d’Angleterre. En approchant de Portsmouth, le navigateur trouve partout une mer saine et profonde ; chez nous, il doit être toujours en garde contre les écueils et les bas-fonds. La rade de Cherbourg ne peut contenir qu’une partie de notre flotte : celle de Portsmouth avec ses attenances immédiates abriterait à l’aise tous les bâtimens de guerre de l’Europe ; mais c’est surtout dans les succursales de l’établissement de Portsmouth que se manifeste sa supériorité. Il fallait que sur quelque point de la Manche qu’un vaisseau de ligne et à plus forte raison un moindre navire de guerre ou de commerce fût surpris par la tempête ou menacé par l’ennemi, il eût à sa portée un refuge aussi sûr que celui même de Portsmouth, et quand la nature le refusait, l’art a dû le donner. Cette nécessité est l’origine de l’établissement dans la Manche de mouillages accessibles à tout état de la marée et par tous les vents dont la Grande-Bretagne est occupée depuis vingt ans, mouillages défendus par des batteries formidables, véritables places d’armes d’où prendraient au besoin leur essor des escadres de navires à vapeur armés ou de batteries flottantes. Portsmouth est déjà flanqué à soixante milles de distance à l’est et à l’ouest par deux de ces établissemens, New-Haven et Scaford d’un côté, Portland de l’autre : à New-Haven, on construit un brise-lame de 1,850 mètres, d’une longueur équivalente à la moitié de celle de la digue de Cherbourg ; à Portland, l’administration, mieux inspirée que nous, qui, lorsque nous n’exportons pas nos condamnés, ne savons les employer qu’à des travaux de fabrique, occupe les prisonniers à compléter par la création d’un môle de 2,300 mètres une rade déjà passable. Le premier devis de ces derniers travaux est de 12,650,000 fr. À trente