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justice, a marqué d’avance les généreuses intentions qui l’animent. M. Gladstone n’est pas seulement un des esprits les plus sincèrement libéraux de notre temps, son talent et ses exquises sympathies littéraires en font un ami des Grecs. Commentateur fervent des poèmes homériques, il retrouve dans les mers qu’il parcourt en ce moment les vivantes reliques de son culte littéraire, et cette sympathie pour les souvenirs helléniques n’a point été sans doute étrangère à sa résolution, lorsqu’il a accepté une mission si inférieure à sa haute position politique. La justice dans toutes ses conditions essentielles, les Ioniens ne peuvent manquer de l’obtenir sous un tel patronage, car M. Gladstone reviendra en Angleterre comme leur avocat après avoir étudié leurs besoins comme délégué du gouvernement.

M. Gladstone et M. Bright sont les deux plus grands orateurs de la chambre des communes ; mais tandis que le premier va parmi les paysages de l’Odyssée calmer une population plus aigrie que malheureuse, l’autre poursuit cette campagne de tribun du peuple qu’il a commencée contre l’aristocratie anglaise à propos de la réforme électorale. Chose curieuse, M. Bright veut étendre le droit de suffrage à tout Anglais qui paierait un loyer inférieur à 6 livres sterling, ce qui se rapprocherait beaucoup du manhood suffrage ou du suffrage universel, et nous voyons qu’il faut payer pour être admis aux meetings où il expose ses doctrines dans les grandes villes industrielles d’Angleterre et d’Écosse. Jusqu’à présent, en face du grand public, M. Bright n’a pas rencontré encore d’adversaire ; aucun des hommes politiques importans de l’Angleterre n’a encore relevé le gant qu’il jette à l’aristocratie. Le Times seul lui tient tête avec une mâle et très raisonnable énergie. Les adversaires libéraux de M. Bright admettent avec lui qu’il est juste que tous les intérêts des classes populaires aient des garanties de représentation ; mais ils prétendent que les classes populaires ne possèdent pas les qualités de gouvernement, et que c’est cependant le gouvernement que M. Bright leur livrerait en assurant la majorité au sein de la chambre élective aux représentans exclusifs des working classes. Là-dessus, ils l’accusent de vouloir américaniser la constitution anglaise. Si nous avions le droit de nous prononcer sur ces questions, nous nous permettrions de repousser comme un peu subtiles et doctrinaires les critiques adressées à M. Bright. Il y a bien des fantômes encore à l’endroit de cette question du droit de suffrage. Nous répéterions volontiers à ce sujet ce que nous disions tout à l’heure à l’égard de la formation des assemblées. Le point capital en matière de représentation, c’est la liberté de discussion fermement établie et respectée. Avec cette liberté, tous les inconvéniens inhérens à tel ou tel système électoral se corrigent et s’effacent. Il y a au surplus diverses façons d’appliquer le suffrage universel, nous en pouvons parler par expérience : ces divers systèmes n’ont pas produit partout les mêmes résultats qu’aux États-Unis ; mais, sans tenir compte de ces différences, nous croyons que le suffrage universel, éclairé par la liberté de discussion, peut donner partout une représentation équitable et proportionnelle des intérêts, des forces et des influences qui existent dans les pays où il fonctionne. Si aux États-Unis le suffrage universel enfante une représentation purement démocratique, c’est qu’il n’y a pas dans cette vigoureuse république d’élémens aristocratiques véritables. Dans d’autres pays, où l’élément monarchique est prépondérant, où