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cette remarque profonde du cardinal de Retz : toute assemblée est peuple ! et nous aussi nous croyons que c’est à l’opinion publique qu’appartient la dernière victoire. Mais où sera la consécration de cette souveraineté finale de l’opinion, si l’action de la presse a d’autres limites que la loi, interprétée par les tribunaux du droit commun ?

Tels sont nos principes. En les soutenant même lorsque le cours des événemens leur paraît contraire, nous savons que nous nous exposons à deux sortes de reproches. Les uns raillent l’optimisme de nos espérances ; d’autres, confondant peu spirituellement la confiance dans l’avenir avec le regret du passé, taxent nos idées de vieilleries. Nous avons encouru par exemple les sarcasmes des premiers à propos du procès de M. le comte de Montalembert. Nous avions émis, à l’occasion de ce procès, une opinion qui parut originale : nous avions dit que le régime des procès était préférable pour la presse au régime des avertissemens, et que les poursuites en pareille matière devaient être moins regrettables aux yeux des amis de la liberté de la presse, s’il était permis d’y voir le dessein, de la part du gouvernement, d’abandonner le système des avertissemens. L’on se récria contre notre opinion : elle était trop naïve, au gré de quelques-uns, pour être sincère, et pour ne point cacher une ironie. Après les divers incidens de ce procès, n’avons-nous pas le droit de demander si nous étions en effet aussi naïfs qu’on le supposait ? Le dénoûment de cette affaire nous met à l’aise pour apprécier l’arrêt de la cour. Grâce à la remise des peines prononcées contre M. de Montalembert, il est permis d’étudier l’esprit de l’arrêt sans s’émouvoir au sujet de l’illustre écrivain. Certes, au milieu de cette disposition déraisonnablement timide des esprits qui tend à exagérer outre mesure les restrictions légales imposées à la presse, nous regardons comme un enseignement opportun ce passage de l’arrêt qui rappelle que « la loi confère aux citoyens le droit de discuter les lois et les jactes du gouvernement. » Nous avons remarqué avec une égale satisfaction que la cour, en soulignant quelques fortes expressions de l’écrit de M. de Montalembert, voit un délit dans une appréciation de la législation sur la presse qui la représente « comme ne laissant la faculté de parler que par ordre et par permission, sous la salutaire terreur d’un avertissement d’en haut, pour peu qu’on ait la témérité de contrarier les idées de l’autorité ou celles du vulgaire. » Si l’expression d’une pareille opinion sur le régime actuel de la presse est un délit, ceux qui se font une idée si outrée des sévérités de ce régime, et qui en redoublent gratuitement les rigueurs par la peur qu’ils en ont, ne reviendront-ils pas enfin de leurs ridicules frayeurs ? L’arrêt de la cour d’appel est un commencement de jurisprudence dans l’application de la législation actuelle de la presse, et, au risque de passer encore pour d’endurcis optimistes, nous constatons avec satisfaction que cette jurisprudence a été moins défavorable à la liberté que ne l’avaient appréhendé certaines personnes.

Mais nos vrais adversaires ont trouvé contre la Revue un trait plus méchant ! Ils font de nous les organes des opinions vieillies, les représentans du passé, et se considèrent eux-mêmes, bien entendu, comme, les jeunes et les vivans ! Un journal s’est fait naguère, dans nous ne savons quel intérêt, l’organe de cette piaffante jeunesse contre notre vétusté intellectuelle. Il était bien