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REVUE DES DEUX MONDES.

Les airs que les marins se prennent à chanter
D’une âme enfin rendue à ses mélancolies.

Préludant au sommeil qui va bientôt venir,
Ce chant, dont la tristesse à temps égaux s’exhale,
Pour chaque matelot est comme un souvenir,
Comme une vision de la terre natale.

Marqué de son accent, chaque peuple a le sien :
L’Anglais un rhythme dur, mêlé de quelque ivresse,
L’Espagnol un refrain pieux, l’Italien
Des couplets que l’amour emmielle de tendresse.

Mais, entre ces accords, à mon grêle plus doux,
C’est l’air vague et plaintif, la sourde cantilène
Que les matelots grecs, hôtes fréquens chez nous,
Chantent sur leur navire, assis vers la poulaine.

Sans varier d’un son, d’où viens-tu, chant si vieux,
Héritage flottant qu’un siècle à l’autre envoie ?…
Est-il vrai, matelots, que, parmi vos aïeux,
On le chantait aux jours de la guerre de Troie ?…

VI.

LE FEU D’EPAVES

À LONGFELLOW

La maison du pêcheur qui près du flot s’élève
Entre ses murs étroits nous avait accueillis.
C’était l’heure du soir, l’heure propice au rêve.
La mer, sous une brise, arrivait à la grève
En doux et larges plis.

À travers la croisée ouverte sur la plage,
L’œil distinguait non loin, — silencieux tableau, —
Quelques arbres épars au rougissant feuillage,
L’ancien phare, la tour, et les murs d’un village
Qui s’avance dans l’eau.

C’était aux jours d’octobre, et quoiqu’à la fenêtre
Le vent qui se jouait n’annonçât point l’hiver,
Nous avions au foyer, sans y songer peut-être,
Allumé quelque bois de vieux chêne ou de hêtre,
Épaves de la mer.